Médias en Seine : quelle place pour les médias aujourd’hui ?
Jamais les médias n'ont été autant lus, regardés, consommés. Face à une crise sanitaire sans précédent, ils ont joué un rôle d'accompagnateur auprès d'une audience avide de décryptages et d'informations pratiques.
Faire son autocritique, sonder la vague de désinformation et des fake news, scruter les enjeux du combat des GAFA contre les éditeurs, faire prendre conscience encore et toujours de l'urgence climatique et d'une communication responsable, établir un état des lieux de l'impact de la pandémie sur les médias, s'interroger sur l'écosystème complexe des podcasts, mesurer le potentiel des plateformes toujours plus nombreuses, explorer la campagne numérique américaine... : pour sa 3e édition, le festival Médias en Seine affiche un programme ambitieux, avec plus de 7 000 inscrits et 202 intervenants français et internationaux. Soit une feuille de route extrêmement dense pour un événement 100 % numérique, qui a demandé dix mois de travail. Une édition riche et fluide, malgré quelques couacs techniques, dus aux aléas du direct.
Le contexte actuel se prête aux échanges et aux remises en question. Malgré une hausse de l'audience considérable, les médias sont mis à rude épreuve, en équilibre fragile sur un modèle économique précaire. « Les médias ont joué un rôle indispensable pour accompagner les Français dans la compréhension de la crise (...). La liberté d'expression n'est pas simplement "une liberté parmi d'autres". Il faut, avec la plus grande vigilance, veiller à ce qu'elle soit respectée », a annoncé Roselyne Bachelot, ministre de la Culture et intervenante de Médias en Seine – sans toutefois piper mot sur les récentes menaces du ministère de l'Intérieur sur la profession... Morceaux choisis d'une édition foisonnante.
Refuser l'impuissance
Dans les règles d'or du journalisme, on retrouve les fameux 5 « W » : What, Who, Where, When, Why. Il convient aujourd'hui de rajouter : « Et maintenant ? » C'est-à-dire apporter une proposition de solution, au-delà du constat. C'est en tout cas le cheval de bataille de Serge Michel, cofondateur de Heidi.news et prix Albert-Londres de reportage en 2001 pour son travail en Iran, et Cyrille Frank, directeur de l'Esj Pro et auteur du blog mediaculture.fr, intervenants à Médias en Seine. Plus qu'un effet de mode ou une lubie passagère, le journalisme constructif est une tendance de fond, expliquent-ils : « On ne revendique pas un journalisme positif, mais constructif : il s'agit d'élargir son spectre. Les médias se sont longtemps concentrés sur la dénonciation des dysfonctionnements. On aborde aussi les solutions. Les abonnés vont accepter de payer pour un média parce qu'il est utile et ouvre des possibilités. »
Selon le Reuters Institute Digital News Report 2019, 32 % des sondés se tiennent à distance des informations parce que celles-ci ont un effet négatif sur leur humeur et qu'ils se sentent impuissants à infléchir le cours des événements. Le journalisme constructif vient en réponse à ce comportement défaitiste, avec l'envie profonde de raccrocher le citoyen à l'actualité, et de ce fait, au débat politique. L'image d'un journalisme « bisounours » relève de la caricature.
«Les articles qui enquêtent sur les solutions redonnent un sens au fait d'être citoyen»
Être utile
Pour Serge Michel, la notion d'utilité est centrale. Tous les journalistes peuvent délivrer des informations, sans valeur ajoutée et semblables à ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux. Il s'agit de se différencier : « Les articles qui enquêtent sur les solutions redonnent un sens au fait d'être citoyen. Si vous assénez une série de problèmes, vous avez une audience passive et désespérée. Si vous êtes dans une démarche constructive, vous réveillez un intérêt pour le journalisme. » Cette démarche est née lorsque Serge Michel tenait les rênes du Monde Afrique. Il se livre alors à plusieurs expériences éditoriales. Au lieu de fournir un simple reportage sur la sécheresse dans un village en Éthiopie, il demande à la journaliste d'entreprendre un autre papier en parallèle sur les solutions existantes pour faire face au manque de précipitations. « J'ai publié les deux articles sensiblement à la même place sur le site Web. L'article sur les solutions a eu 10 fois plus de trafic et a rapporté le plus d'abonnements au journal », souligne-t-il.L'image du reporter qui « sort sa plume pour écrire quand il entend les balles siffler autour de lui » est aujourd'hui totalement réductrice. Le journaliste n'est plus seulement le chien de garde de la démocratie, mais celui qui tend la main à une audience, capable de réagir et de travailler main dans la main avec les journalistes. « Le journalisme distant qui se fait le relais d'un problème n'est plus possible. Il faut créer de l'assentiment et former des communautés », analyse Cyrille Frank, partisan d'un journalisme participatif. Donner la parole favorise le lien social. Dans une autre session « Face à l'hypersegmentation, les médias, créateurs de lien social », animée par le pétillant journaliste François Saltiel, auteur de l'essai La Société du sans contact, jamais dans le consensus mou, les invités insistent sur la démarche utilitaire. Au Parisien, la volonté était « d'être le reflet de la société française ». Pendant le confinement, le quotidien a, dans une démarche servicielle, intégré l'attestation de déplacement dans ses pages : « Les audiences ont doublé, avec 200 millions de visites par mois », a déclaré Pierre Louette, président-directeur général du Groupe Les Echos Le Parisien.
«La confiance est la valeur clé. C'est elle qui donne du crédit à ce qui est affirmé»
La question de la confiance
« La confiance est la valeur clé. C'est elle qui donne du crédit à ce qui est affirmé. C'est elle qui crée du lien. Elle ne se présume pas. Elle se démontre », a solennellement déclaré la ministre de la Culture. C'est ce en quoi les médias doivent œuvrer, pour lutter contre le complotisme qui vient « sécuriser par le pire », pour reprendre les termes de Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste. Une bataille qui s'apparente à « un sport de combat », selon Serge Michel, « il est très difficile de lutter contre des délires. Il est nécessaire d'établir de la confiance avec son audience pour faire la guerre aux fake news. Seulement, les lecteurs sont défiants face aux médias, qu'ils associent souvent à la communication ».
De nombreux organismes publics et privés ont des solutions toutes faites. Des sirènes auxquelles il est facile de succomber, en raison de deadlines très courtes imposées par les rédactions et le manque de ressources. On pense par exemple au Science Media Centre, sorte d'agence de communication spécialisée sur des sujets scientifiques et techniques, qui délivre des résumés et des « kits de réactions rapides » aux rédactions britanniques comme Le Guardian – soit « un instrument d'influence pro-industrie » (Le Monde). En Suisse, les médias traditionnels connaissent un affaiblissement dans des thèmes spécialisés alors que toutes les institutions se sont renforcées, prévient Serge Michel. « Pour un journalisme constructif, le pire est d'être assimilé à de la communication. On ne sait plus qui sert quoi. Les journalistes doivent regagner le terrain. On est dans un monde de plus en plus complexe et on aura toujours besoin de journalistes pour l'expliquer », conclut-il.
Investir les sujets techniques
Pour le philosophe et physicien Etienne Klein, intervenant dans la session « Sciences et citoyens : quel contrat de confiance » et auteur de l'essai Le Goût du vrai (« un essai avec des idées plates mais qui, avec la crise, prend du relief »), les médias doivent sérieusement investir les sujets techniques comme la science dans leurs récits : « Je ne comprends pas que les médias ne réagissent pas face à l'ignorance des jeunes, par exemple sur le nucléaire. Je suis frappé par la maturité politique des jeunes d'aujourd'hui. Mais ils ne savent pas ce qu'est l'effet de serre. Il faut que la militance s'accompagne de compétence, sinon on ne prend pas les bonnes décisions », explique-t-il. D'où l'importance des médias, qui en mettant en perspective les faits, fortifient l'esprit critique et créent de la confiance.Le festival Médias en Seine est disponible en replay. On aurait aimé pouvoir vous parler de tout, tellement les sujets sont passionnants, mais on préfère vous les laisser découvrir. Story Jungle vous conseille quelques autres sessions :
- La transformation en médias d'une plateforme : le cas LinkedIn, avec Sandrine Chauvin, directrice de la rédaction LinkedIn Actualités. Avec 722 millions de membres, 21 millions en France, LinkedIn est un réseau qui monte. « LinkedIn is the largest B2B company in the world », selon Digiday. On y apprend que d'anciens journalistes de l'AFP, de Capital, de Business Digest ont rejoint les rangs de l'équipe éditoriale – 75 journalistes au total.
- Comment concilier les trois temps : l'urgence sanitaire, le temps de la recherche et la vitesse médiatique ? Yves Gaudin, virologue et directeur de recherche au CNRS, rappelle que la méthode scientifique n'est pas soluble dans l'urgence et expose le b.a.-ba de la recherche : « Il faut pouvoir challenger les modèles. Le fait que la communauté scientifique ne soit pas d'accord est apparu comme une faiblesse aux yeux du public, mais c'est le quotidien des chercheurs de ne pas être d'accord ! On ne peut pas dire au doigt mouillé que c'est ce traitement qui doit être appliqué ! »
- Comment enquêter en 2021 ? Matt Apuzzo, double Pulitzer et grand reporter au New York Times, expose les grands principes d'un bon journaliste d'investigation : ne jamais avoir peur – ô grand jamais – d'insister et se rendre directement chez la personne, si celle-ci ne répond pas aux mails...

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