« L'efficacité du brand content dépend surtout de sa qualité »
Propos recueillis par Alexandra Klinnik et Photos par Virginie de Galzain- Publié le 12 janvier 2019
Jean-Christophe Demarta
Senior Vice President of Global Advertising at The New York Times
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Jean-Christophe Demarta est Senior vice-président de la publicité internationale au New York Times. Familier de l'univers des médias depuis vingt-cinq ans, l'ancien directeur de la publicité du Monde et de l'International Herald Tribune nous expose sa vision de l'avenir de la publicité et des contenus de marque, à l'ère du digital. Entretien.
Vous êtes Senior Vice-Président de la publicité internationale au New York Times, un journal qui compte de plus en plus sur l'abonnement – et de moins en moins sur la publicité, pour son développement. En quoi ce parti pris change votre métier ?
Jean-Christophe
Demarta – En soi, cela ne
change pas fondamentalement mon travail puisqu'il y a toujours eu de la
publicité au New York Times et il y en aura toujours à priori, dans les années
à venir. En revanche, les priorités au sein de l'entreprise ont changé. Avec
une stratégie axée sur le lecteur, l'accent est mis sur le contenu.
Aujourd'hui, les lecteurs subissent la publicité car celle-ci pèche par un manque
de qualité. Cela incite notamment les nouvelles générations à recourir de plus
en plus aux
ad blockers. Les médias
ont donc tout intérêt à revenir à plus de qualitatif.
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Dans la Jungle des contenu :
S’inscrire Est-ce que cette stratégie se traduit par un investissement moindre dans les innovations publicitaires ?
J.C.: Tout dépend de ce que l'on entend par
innovations publicitaires. S'il s'agit de surcharger son site en annonces
publicitaires, ce n'est évidemment pas notre objectif. En revanche, s'il s'agit
de développer des stratégies de brand content extrêmement qualitatives,
l'investissement est au rendez-vous. On cherche aussi à utiliser les nouveaux
médias comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée et l'audio. La
technologie invite la publicité à adopter des formes multiples. Il faut rendre
l'expérience publicitaire qualitative afin quelle soit acceptée par les
lecteurs et qu'elle soit réellement efficace.
» La technologie invite la publicité à adopter des formes multiples.
«
Dans le domaine des contenus de marque, le New York Times a lancé le T Brand Studio en 2014. Quel bilan en tirez-vous aujourd'hui ? Quels en sont les enjeux ?
J.C. : Cinq ans après sa création, c'est 500
campagnes réalisées pour les plus grandes entreprises au monde mais aussi les
plus petites. La demande pour le
brand
content est encore présente, notamment chez les marques. Cette stratégie
permet de communiquer sur des messages de fond, à caractère
corporate. Les entreprises sont en quête
de sens et veulent apparaître aux yeux des consommateurs comme des marques
responsables et sensibles à l'environnement. Ce sont des sujets plus facilement
relayés par le
brand content que par
la publicité dite classique.
Quel est votre gourou ?
J'ai toujours été impressionné par Maurice Lévy, le président de Publicis. Un homme d'entreprise incroyablement efficace avec un vrai sens du business et des relations. Quel est votre mantra ?
Essayer de se focaliser sur ce que l'on peut changer. On a tous des domaines dans lesquels on peut agir. C'est ce qui me motive.Comment libérez-vous vos chakras ?
Salle de sport, running, vélo. Vous dites « encore ». Selon vous, le brand content représente-t-il un relais de croissance pour l'avenir ?
J.C. :Il s'agit effectivement d'un relais de croissance
pour de nombreux médias et marchés à travers le monde. Sur le papier,
le brand content a connu une sorte de
tassement. J'ignore si ce phénomène se reproduira sur le digital. Ce qui est
sûr, c'est que les marques continueront à avoir besoin de communiquer. Pour les
médias, il s'agit de mettre l'accent sur la qualité. Le contenu doit aussi être
en adéquation avec la marque média et son audience. À la différence de la publicité, le lecteur a le choix : il a le
contrôle sur ce qu'il visionne. L'efficacité du
brand content dépend surtout de la qualité et aujourd'hui, celle-ci
est très inégale. Ce que j'ai remarqué est le fait que celle-ci diffère selon
les moyens que vous mettez derrière votre équipe. Le brand
content demande de l'investissement : les productions coûtent relativement
chères. Une des forces du T Brand Studio a été de recruter 150 personnes. Plus
vous avez des gens sur le terrain, plus l'information recueillie sera juste et
quelque part qualitative.
Est-ce que vous cernez des tendances en termes de contenus de marque ?
J.C. : Bien sûr, il y a l'audio. Le podcast est
revenu sur le devant de la scène depuis quelque temps, notamment dans le
domaine du journalisme. À côté de cela une des tendances que je trouve
vraiment intéressante restent les effets graphiques et interactifs. Ces
éléments visuels sont extrêmement utiles à la compréhension d'un sujet.
Généralement,
le brand content est
surtout basé sur du texte et de la photo. Certes, cela peut être efficace mais
les contenus que l'on remarque le plus sont agrémentés d'effets visuels
poussés. Il ne faut pas non plus tomber dans la surenchère en essayant de trop
en faire car le lecteur n'a pas forcément beaucoup de temps. Au New York Times,
on exploite aussi les technologies immersives. Je pense que le déploiement de
la 5G va pouvoir faciliter l'accès à la production en réalité virtuelle. Pour
l'instant, nous sommes en phase de test. Est-ce que c'est une innovation qui va
connaître un développement très important ? C'est la grande question.
Fin décembre, une chronique dans le New York Magazine, intitulée « Quelle part d'Internet est « fake » ? » évoquait la fiabilité des chiffres d'audience donnés sur la toile. Quelle est votre vision sur la performance de la publicité digitale en général ?
J.C. : C'est un vaste sujet. Il faut repenser la
manière dont on aborde l'efficacité publicitaire. Le digital a amené l'immédiateté.
Pendant plus de cent ans, la publicité a existé sans interaction directe avec
sa cible. Aujourd'hui, il y a le clic. Mais il ne donne aucun argument
qualitatif et indique juste que la personne a cliqué. L'avènement du digital a
généré de nombreux abus, comme créer du faux trafic sur les publicités. La
fraude sur la publicité digitale pourrait devenir
« la seconde source de revenus des organisations criminelles, juste derrière les profits tirés du trafic de drogue »,selon la Fédération mondiale des annonceurs (WFA). Les marques payent pour
des publicités qui ne sont pas vues. C'est une situation terrifiante à laquelle
il faut absolument remédier. Par ailleurs, il s'agit de revenir à plus de
raison en matière de mesure. Il faut qu'on arrive à prendre en compte la
personne qui ne clique pas. Aujourd'hui, si vous cliquez, vous êtes utile,
efficace pour la marque. C'est autre chose pour l'internaute qui a simplement
vu la publicité : cette cible est difficile à cerner. Pour y remédier,
nous devons tendre vers plus de qualité, dans un contexte où le moindre site
accueille aujourd'hui de la publicité.
Pour finir, quelles sont les tendances sur 2019 que vous décelez ? Quels sont vos projets ?
J.C. : Le
brand
content est une forme de communication qui devrait croître à plus de 5% par
an et connaître des développements intéressants pour tous les acteurs – médias,
marques et professionnels de contenus. Une des autres tendances va être la
mesure de l'efficacité. Pourquoi est-ce que Google et Facebook sont aussi
performants ? C'est parce que l'annonceur a l'impression que cela marche. Même
si le réseau social a connu des scandales à répétitions, il continue d'être
très efficace sur le plan marketing. L'annonceur n'est pas un
philanthrope. Il est à la recherche d'un
espace qualitatif qui fonctionne et nous devons nous employer à y répondre. On
a passé beaucoup trop de temps à résoudre des problèmes technologiques pendant
que Facebook créait peu à peu son propre monde – avec beaucoup moins de
problèmes. Il est temps de s'y atteler.
bio
Jean-Christophe Demarta,
Senior Vice President of Global Advertising at The New York Times
Jean-Christophe Demarta est Senior Vice-Président de la publicité internationale du New York Times. Il a débuté sa carrière au sein du groupe Publicis avant de se tourner vers le monde des médias. Après avoir été directeur général adjoint au Monde, il intègre l’International Herald Tribune en 1999 où il dirigera la régie du groupe jusqu’en 2010.