Les Nouvelles pratiques du journalisme
« Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge. » C'est par ces mots de Winston Churchill que Mathias Vicherat, directeur de l'Institut d'études politiques de Sciences Po a ouvert la 12e édition des Nouvelles pratiques du journalisme, consacrée cette année à la reconquête du terrain.
Le futur du terrain, c'est l'enquête en consortium
L'union fait la force. Laurent Richard, fondateur de Forbidden Stories et co-fondateur du magazine Cash Investigation sur France 2, a rappelé l'importance d'une collaboration internationale entre les journalistes à l'heure d'une « attaque mondiale contre la démocratie ».C'est dans cette logique qu'il a créé Forbidden Stories, en septembre 2017, un consortium international de journalistes poursuivant les enquêtes de reporters menacés, emprisonnés ou assassinés dans le monde. « Stories stay alive », comme le dit leur slogan.

« La collaboration apporte la protection. Vous ne tuez pas quelqu'un si vous savez qu'il y a une armée derrière », a-t-il garanti. Par ailleurs, le fait de travailler avec plusieurs médias sur une enquête permet de faire des économies. « Vous partagez les coûts », rappelle-t-il, à l'image du scandale Pegasus où le Washington Post et The Guardian ont chacun impliqué une équipe dédiée à plein temps.
Le collectif choisit un média par pays, de préférence reconnu pour participer au projet : Le Monde (et Radio France) en France, Die Zeit en Allemagne, The Washington Post aux États-Unis. Reste qu'il faut aller au-delà de l'esprit de compétition qui règne entre les médias. Lors du lancement du projet à Washington, Marina Walker, la directrice adjointe de l'ICIJ, avait déclaré : « Nous avons été éduqués pour sortir des scoops au détriment de la concurrence, mais ces sujets sont bien trop complexes et dangereux pour ne pas travailler ensemble. »
Comme le rapporte la Correspondance de la presse, France 5 diffusera dimanche 12 décembre deux documentaires sur des affaires où le collectif associatif international a pu conclure deux enquêtes de journalistes assassinés en Europe. Une belle revanche quand on sait que le nombre de journalistes emprisonnés dans le monde a établi un nouveau record en 2021, selon le tout récent rapport du Comité pour la protection des journalistes. En 2021, 293 journalistes ont été emprisonnés, contre 280 en 2020...
Renouer la confiance avec ses sources, à travers un dispositif spécifique
Adriana Gallardo est journaliste à ProPublica depuis 2016, spécialisée sur les sujets de violences sexuelles, l'immigration et la santé des femmes. Elle a notamment reçu le prix Pulitzer du service public en 2020, pour son enquête « Lawless» sur les violences sexuelles en Alaska.
Il faut également prendre le temps, par exemple, d'expliquer aux victimes qui témoignent la façon dont elles vont être photographiées : « Dans chacune des photographies, le sujet était conscient de la manière dont il serait photographié, de la manière dont elle serait publiée. C'était une étape cruciale pour établir la confiance avec les sources », a-t-elle témoigné en faisant référence au travail de longue haleine mené par ProPublica et Anchorage Daily News sur les violences sexuelles en Alaska.
Se faire petit
Pour tâter le pouls d'un terrain, rien de mieux « qu'une petite caméra, un bon micro, et c'est parti », affirme Arnaud Muller, reporter et documentariste de la série Toc Toc, diffusée sur France Télévisions et Spicee. À la manière d'un Antoine de Maximy – en moins culotté –, le journaliste part seul avec son petit équipement dans les territoires désertés par les médias, avec une volonté nette de ne pas être « étouffé par la technique », et de « faire oublier la caméra ».
« Face à la diminution du terrain, l'overdose des talk-shows, l'impression de voir toujours les mêmes têtes images, j'ai décidé de partir à l'écoute du terrain, explique-t-il. Il y a un réel enjeu démocratique dans la reconquête du terrain. C'est là où les tendances sociétales se dégagent », poursuit-il. Ses reportages en politique ont fini par le lasser – là « où les communicants ont pris la main sur les journalistes ». Sa ligne édito ? Pas de plan de route, pas de coup de tél en amont, pas de casting dans l'endroit où il enquête. Il laisse déambuler sa caméra au gré des rencontres, tout en proposant son point de vue. C'est la spontanéité qui le guide.
« Je ne suis pas dans l'effacement du journaliste, comme Brut peut parfois proposer dans ces formats face cam » explique le journaliste, avec une volonté d'incarner ce format itinérant. Il est ainsi parti en Ardèche à la rencontre de villageois en lutte contre la vaccination. Son but ? « Explorer les zones grises, éviter le manichéisme, créer du lien. » Il termine sur un constat amer : « J'ai fait beaucoup d'enquêtes sur l'environnement, il n'y a toujours pas beaucoup d'avancées. Peut-être qu'on a manqué le relationnel, le lien avant tout. »

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