CNMJ 2023 : « L’information doit être différente de la communication »
Au sein du CELSA, le 26 janvier dernier, a eu lieu la 13e édition de la Conférence nationale des métiers du journalisme. Le thème de cette année : l'information à l'ère de l'influence et du branding sur les réseaux. Story Jungle fait un récap' de la journée.
L'incarnation au centre du débat
Selon le baromètre Kantar-La Croix de 2023, 51% des moins de 35 ans considèrent la transmission d'informations par des « gens qui ne sont pas des médias, ni des journalistes » comme étant une bonne chose. L'influenceur devient donc une source au même titre que le journaliste. Les frontières se brouillent... Mais les médias résistent et propulsent sur les réseaux sociaux les « visages » de leurs rédactions.L'incarnation au centre des formats
À l'image du Monde, qui s'est développé aussi bien sur YouTube, Snapchat, TikTok ou Instagram, en mettant en avant ses journalistes. Les habitudes des consommateurs ont évolué, elles sont devenues plus volatiles, plus variées. Les médias doivent suivre cette évolution s'ils veulent pouvoir continuer à leur fournir une information de qualité. « Il faut aller chercher l'audience là où elle se trouve et pour ce faire, il faut évidemment s'adapter aux codes des plateformes. » La vidéo est notamment devenue essentielle sur la plupart des réseaux, tout comme le fait de montrer son visage. Le public veut désormais du journalisme incarné, au même titre que les influenceurs pour qui la personnalité est centrale dans le développement de leur image.Un journalisme incarné « pas si nouveau »
Mais pour Valérie Jeanne-Perrier, responsable du département journalisme au CELSA, ce journalisme incarné n'est pas nouveau, notamment à la télévision. « À l'époque, quand on allumait la télé et qu'il n'y avait qu'une seule chaîne, il y avait des visages qui revenaient régulièrement. On avait déjà cette connaissance interpersonnelle avec les journalistes. »Cependant, développer cette proximité est primordial à une ère où l'information est accessible partout. « On est dans un monde hyperconcurrentiel entre tous les discours, y compris ceux qui ne sont pas journalistiques. » Pour être écoutés, considérés, au milieu du bruit des réseaux sociaux, il faut que le public développe une attache avec le journaliste. Les influenceurs d'actu et les nouveaux médias sont ceux qui ont réussi à démocratiser l'incarnation sur le web. On peut citer HugoDécrypte ou Vakita, le média indépendant d'Hugo Clément créé fin 2022. Mais alors que le média d'Hugo Travers centralise surtout l'image du média autour de sa personne, Vakita a une stratégie différente. « Ce n'est pas seulement un média incarné par Hugo Clément. Chaque journaliste incarne ses propres sujets et c'est un véritable parti pris », assure Axel Roux, rédacteur en chef des sept journalistes travaillant chez Vakita.
Un parti pris qui s'est imposé progressivement
Bien que cette incarnation paraisse une évidence aujourd'hui, elle n'a pas été facile à défendre et à instaurer. En 2018, Brut se contentait de vidéos d'archives desk, qui certes fonctionnaient mais n'étaient que peu incarnées. Loopsider, de son côté, n'en était encore qu'à ses balbutiements et produisait du contenu similaire à Brut. Selon Axel Roux, c'est vraiment Konbini News, où il rencontre Hugo Clément, qui change la donne. Ils se mettent alors à produire des reportages incarnés faits pour le web. « On nous disait "vous êtes fous, ça coûte un bras et puis l'incarné, c'est pas les codes, c'est plus la télé". » Mais contre toute attente, le format est une réussite, une audience se développe. Aux côtés de l'incarnation, l'engagement journalistique se développe. Vakita et Hugo Clément lui-même ne cachent pas leur engagement pour la cause animale et environnementale. Selon Axel Roux, Konbini a été précurseur à ce sujet, et certains médias ont suivi l'exemple, mettant en avant des visages autour de thématiques engagées. David Perrotin, chez Loopsider, sur les questions de justice sociale est un exemple parmi d'autres.
Alexis Delcambre ajoute que cette importance du journalisme incarné impacte le recrutement pour ce qui est des équipes réseaux sociaux. « On va être particulièrement attentif à l'aisance concernant les nouveaux formats, à la capacité à passer à l'écran et à faire se connecter avec l'audience pour transmettre un message. »
Jusqu'où peut-on opposer journalistes et influenceurs ?
« L'émergence d'Internet et des réseaux sociaux a mis fin au quasi-monopole des journalistes dans l'espace public », expose Samuel Bouron, sociologue et maître de conférences à Paris-Dauphine. Le numérique a permis à une majorité de gens de s'exprimer publiquement, sans limites ou restrictions. Pour le sociologue, le journalisme garde tout de même une place centrale dans l'accès aux informations.Par exemple, les JT conservent une audience significative, bien que plus basse qu'auparavant. « Même les sujets d'actualité débattus sur les réseaux sociaux restent dépendants de ce qui est évoqué par les médias traditionnels », affirme-t-il.
Mais parmi eux, il y a aussi les influenceurs, que Samuel Boron définit comme « des personnes qui prescrivent des normes dans tous les domaines de la vie ». Avec cette multiplicité de figures du web qui diffusent de l'information, lesquels sont journalistes et lesquels ne le sont pas ? La réponse n'est pas évidente, déjà car même au sein de la profession, les frontières sont floues. Les métiers du journalisme sont multiples, les manières de travailler sont variées, notamment entre médias traditionnels et nouveaux médias. Peut-être devrions-nous poser la question autrement. Qu'est-ce qu'est, ou devrait être, l'information ? « Déjà, l'information doit être différente de la communication. » Pour ce faire, elle se doit d'être véridique, puisqu'il est question de retranscrire les événements, mais aussi d'être vérifiable. Ce second point est essentiel pour bâtir une relation de confiance avec le public. Pour terminer, l'information doit prendre en considération la pluralité des points de vue et donc des réalités.
« Ce qui se complique, c'est que le travail d'information comprend une part de communication. » Il s'agit de la narration, de la mise en récit de l'information. C'est l'outil qui permet de la rendre accessible, de la rendre intéressante aux yeux de l'audience. Raconter l'information, et non la romancer, est devenu un élément central dans sa transmission. Les formations des écoles de journalisme l'ont bien pris en compte. Le travail de la voix, la mise en image, les formes narratives sont beaucoup plus présents dans les enseignements qu'il y a quelques décennies.
Nouveaux médias ou supports de com' ?
S'il a été question de médias traditionnels ou nouveaux médias portés par des journalistes aux parcours classiques (Hugo Clément et Axel Roux ont par exemple fait l'ESJ Lille), le regard s'est également porté sur des médias lancés par des influenceurs, type Hugo Travers (qui a un master communication, information de Sciences Po). Pour la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP), représentée par Bénédicte Wautelet lors la conférence, HugoDécrypte n'est pas une entreprise de presse, puisqu'elle fait aussi de la communication, du brand content. Les journalistes de la structure n'ont d'ailleurs pas de cartes de presse, malgré leurs demandes. « Cela a posé problème pour une des journalistes qui a fait un reportage en Ukraine », renchérit le sociologue Jean-Marie Charon, habitué à recueillir la parole des jeunes poulains lancés dans l'arène. « Quand je vois HugoDécrypte qui veut aussi faire de la communication, il faudrait qu'il décline sa marque, par exemple en HugoCommunique. Il faut bien distinguer les deux », justifie Bénédicte Wautelet.
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