Nouvelles Pratiques du Journalisme : plein phare sur TikTok
Cette année, Story Jungle a de nouveau fait le voyage jusqu'à Sciences Po Paris pour assister à la conférence 2022 des Nouvelles Pratiques du Journalisme. Le thème de cette 14e édition ? Informer à l'ère de TikTok.
Doit-on aller sur TikTok ? Et comment ? – Avec Hugo Travers (HugoDécrypte), Rémy Buisine (Brut) et Axel Beaussart (Spotters).

Comme ses prédécesseurs, TikTok a beaucoup évolué au fil des ans, passant de vidéos de danse à des contenus pouvant être plus sérieux et informatifs. « Instagram, au début, ce n'était que de la photo ; au fur et à mesure, ça s'est élargi à d'autres thématiques. Idem pour YouTube. TikTok suit la même évolution », affirme Hugo Travers avec confiance.
Mais ce virage ne se fait pas sans contraintes. L'un des principaux enjeux concerne la rémunération. Malgré la volonté de TikTok de faire venir des médias traditionnels (pour contrebalancer la désinformation, très présente sur la plateforme), ces derniers ne sont pas encore éligibles au fonds créateur. Rappelons que depuis septembre 2020, TikTok met à disposition un fonds à l'intention des créateurs. Pour l'obtenir, il faut : être âgé de 18 ans ou plus, compter un minimum de 100 000 vues sur les 30 derniers jours et avoir au moins 10 000 abonnés. Une évolution est promise pour début 2023, mais pour le moment, même Brut, plus gros média français sur TikTok, ne perçoit aucun revenu. En comparaison, le pure player a une activité rentable sur des plateformes telles que Snapchat.
HugoDécrypte, à l'inverse, fait partie de ceux éligibles pour toucher ce fameux fonds créateur. Il dément tout de suite une rumeur qui a beaucoup circulé : non, il ne gagne pas 1 dollar pour 1 000 vues. Cependant, il maintient que la somme est avantageuse, bien qu'il refuse de donner une valeur exacte malgré la ténacité de la modératrice Alice Antheaume. « Après, j'ai un doute en la capacité de TikTok à maintenir ce programme tel qu'il est. Car il rémunère très bien et beaucoup de gens. » C'est une tactique en effet assez fréquente, appliquée aussi par YouTube par le passé. Proposer une rémunération attractive pour attirer et fidéliser des créateurs avant de resserrer la vis.
Second challenge : s'adapter aux différents formats et proposer pour chaque plateforme une version adaptée. Un post Instagram ne passera pas sur YouTube, une vidéo TikTok ne marchera pas sur Twitter. TikTok étant le petit nouveau, il a fallu apprendre les mécaniques, saisir les attentes du public, cerner au mieux l'algorithme. Que cela soit l'équipe HugoDécrypte ou Brut, les deux ont tâtonné plusieurs mois avant de trouver la formule qui fonctionne. Il leur a fallu attendre le dernier semestre 2021 pour que leur compte rencontre le succès. La difficulté est aussi de faire passer le public d'une plateforme à une autre. Cependant, certaines passerelles sont possibles, comme entre Instagram et TikTok. Hugo Travers précise qu'une grande partie de son trafic Instagram vient de TikTok.
Plus inattendu, Twitch parvient à s'imposer face à TikTok grâce à de courts clips de moments phares de streams qui sont postés sur le réseau de vidéos courtes. « Je passe plus de temps à regarder du Twitch sur TikTok », confie Hugo Travers. Certains streamers ont même émergé grâce à TikTok.
Les problèmes du scroll et de la recherche – Avec Chine Labbé (NewsGuard).
TikTok est envahi par la désinformation et la propagande. Le problème est d'autant plus grand que le public présent sur l'application est très jeune. En 2021, un quart des utilisateurs américains avaient entre 10 et 19 ans (malgré l'âge requis d'au moins 13 ans pour s'inscrire). NewsGuard, start-up spécialisée dans le suivi de la désinformation en ligne, a mis en lumière les failles inhérentes à l'application. Presque 20 % des vidéos présentées par le moteur de recherche TikTok contiennent de la désinformation sur des événements récents.Problème majeur : TikTok suggère des phrases prédéfinies complotistes dans sa barre de recherche. Lorsque l'on cherche « vaccin contre le Covid », on nous propose : « blessures du vaccin contre le Covid », « vérités sur le vaccin contre le Covid », « vaccin contre le Covid sida ». Quand la ville ukrainienne de Bucha est cherchée (en référence au massacre qui y a eu lieu), le premier résultat est « Bucha fake ». Il en va de même pour les recherches liées au réchauffement climatique qui proposent des tournures de phrases niant son existence.

Le problème est aussi évident sur la FYP (For You Page). Il s'agit de l'onglet qui propose des vidéos de comptes que l'on ne suit pas, mais qui pourraient nous intéresser. Des contenus problématiques peuvent facilement s'immiscer. Moins de 40 min à scroller, c'est le temps qu'il suffit pour tomber sur des vidéos contenant de la désinformation sur la guerre russo-ukrainienne ou sur l'épidémie de Covid-19. Cela semble assez long, mais il faut noter qu'en 2021, les jeunes adolescents passaient environ 91 min sur l'application (source : TechCrunch). Ces vidéos peuvent être très difficiles à repérer car elles se mêlent aux autres vidéos, entre du divertissement et du contenu informatif de confiance. « Vous passez d'un discours de Poutine à une vidéo de France 2 expliquant le contexte de la guerre », pointe Chine Labbé.
Ce que TikTok change pour le futur du journalisme en Asie – Avec Dhanaraj Kheokao

Selon Reuters, 42 % de la population thaïlandaise utilise TikTok, dont 22 % pour l'information. « C'est le plus haut taux parmi les 46 pays de notre étude. » L'institut de recherche du journalisme relève aussi les pratiques culturelles dans la consommation de l'information en Thaïlande. En effet, la population apprécie bien plus d'écouter ou de regarder l'information que de la lire. Un drame pour la presse écrite (les campagnes gouvernementales pour convaincre les jeunes de lire sont fréquentes), mais une aubaine pour les réseaux sociaux comme YouTube, Facebook Live et maintenant TikTok. « Si vous prenez un avion pour Bangkok, vous ne verrez pas un Thaïlandais avec un livre à la main », explique Dhanaraj Kheokao, avocat et chercheur.
De ce fait, la très grande majorité des journalistes, médias et agences de presse thaïlandais sont sur TikTok. Les directs, auparavant diffusés sur YouTube et Facebook, se font désormais de plus en plus sur TikTok, grâce à de meilleures capacités techniques. Les médias et agences s'adaptent à cette nouvelle plateforme, en raccourcissant leurs titres et unes, et ce, même dans la presse traditionnelle. Ils doivent aussi composer avec la figure du « journaliste citoyen » qui a pu naître sur le réseau. À noter, tout de même, que malgré sa grande présence sur l'application, la population thaïlandaise fait preuve d'assez peu d'engagement. Une communauté très présente, mais surtout invisible et silencieuse, donc.
Étude Tech Stack : sous le capot des médias – Avec Marion Wyss et Jean-François Fogel.
Lors de leur présentation de l'étude Tech Stack, Marion Wyss, rédactrice en chef de The Audiencers a pointé un problème majeur dans les rédactions françaises. Les emplois dits techniques sont en proportion insuffisante par rapport au nombre de journalistes. En France, la moyenne est d'un développeur pour sept journalistes. Au New York Times, c'est un développeur pour trois !Un recrutement des techniciens plus conséquent est essentiel pour développer et maintenir tous les outils numériques des médias. Mais cette embauche a un coût : « Si vous engagez un CTO de bon niveau, on doit le payer plus cher qu'un patron de la rédaction. Sinon, ils partent dans le luxe ou la grande distribution, qui ont les moyens », poursuit Jean-François Fogel, directeur de l'Executive Master en management des médias de Sciences Po Paris.
