Le Monde se refait une beauté sur Snapchat
Depuis le 15 septembre, le média propose une nouvelle version de son édition quotidienne publiée sur la plateforme. L'objectif ? Se rapprocher de son audience en misant sur le format vidéo incarnée et casser cette image de journaliste star, enfermé dans sa tour d'ivoire.Un des changements majeurs reste la disparition du format "story" - une succession de snaps de dix secondes - au profit d'un format vidéo de quatre minutes, le Snapshow. Olivier Laffargue, responsable des éditions Snapchat/TikTok du Monde, est revenu pour Story Jungle sur les enjeux de cette mutation, plus "profonde" que les précédentes.
Il s'agit de la troisième mutation du Monde sur Snapchat en cinq ans. Qu'est-ce qui vous a incité, de nouveau, à changer de « visage » ?
Les codes évoluent à une vitesse extrêmement rapide. La raison d'être de notre service dans le journal repose sur l'adaptation aux nouveaux modes de communication, aux moyens de consommer l'information des jeunes, en particulier. Cette adaptation fait partie de l'ADN du Monde. Il s'agit de s'imposer une remise en question permanente. Cela fait partie intégrante du pari. Nous tentons systématiquement de nouvelles choses, avec plus ou moins de succès. Ce dernier changement reste le plus profond.«Notre présence sur les réseaux sociaux se justifie par le fait de rendre accessible l'information à un jeune public, dans une visée pédagogique»
Vous faites le pari de la vidéo incarnée, avec une volonté de vous rapprocher de votre jeune audience...
Tout à fait. D'un point de vue éditorial, le face caméra dispose d'avantages indéniables. Grâce à TikTok, on a constaté la puissance de narration et d'explication qu'un tel format peut apporter. Il y a une façon très intéressante et efficace d'impliquer le lecteur dans le récit. Cette technique permet de raconter l'information de manière claire. Par ailleurs, depuis cinq ans, l'un de nos impératifs est de casser cette espèce de relation surplombante du journaliste sur son public. Il s'agit d'un des problèmes majeurs de la crise de confiance envers la presse.Notre présence sur les réseaux sociaux se justifie par la volonté de rendre accessible l'information à un jeune public, dans une visée pédagogique. Nous souhaitons mieux prendre en compte leurs critiques, leurs retours et nouer une relation plus directe. On répond à tous les messages reçus sur Snapchat, et on essaye de faire de même sur TikTok. La profession de journaliste est fantasmée, et c'est un problème. On souhaite montrer qu'être journaliste s'apparente à une forme d'artisanat : la fiabilité de l'information ne se décrète pas, elle se fabrique.
Votre approche évoque celle des YouTubeurs, qui n'hésitent pas à jouer la carte de la proximité...
Oui, on ne le cache pas du tout. C'est une source d'inspiration importante. Ils ont su les premiers comment parler à cette audience. On a conscience que c'est un univers qui n'est pas le nôtre, à l'origine. Il l'est devenu puisqu'on se l'est approprié. On n'a pas de condescendance envers tous les créateurs. L'un de nos principaux challengers sur TikTok est Hugo Décrypte, qui a su développer quelque chose d'extrêmement performant, de sérieux, et qui a réussi à capter un public impressionnant sur ces contenus.Comment s'est organisée la refonte de l'édition ?
Cette refonte est le résultat des enseignements de ces cinq ans sur Snapchat et depuis 2020 sur TikTok. On a tout gardé, à part le format. L'enjeu est de séduire de nouveaux lecteurs, tout en conservant nos fidèles. La structure de l'édition reste donc relativement la même : le sujet principal pour ouvrir – la moitié de l'édition –, un sujet secondaire puis un tour de l'actualité pour avoir quelques brèves qui permettent un résumé de l'actu à un instant t. Notre ligne éditoriale est similaire. En conférence de rédaction, on va assez peu se poser la question des sujets qui intéressent les jeunes. On va plutôt essayer de voir quel sujet est important et comment on va le rendre compréhensible, intéressant pour tout le monde, et pas uniquement les jeunes. On a aussi des lecteurs plus âgés sur la plateforme. Plus qu'un journal pour jeunes, on se conçoit comme un média accessible. L'aspect graphique est également conservé, avec le travail des motion designers. Les articles sont moins nombreux mais on tient à les garder. C'est aussi la force de la maison de pouvoir expliquer en longueur des faits qui ne s'expliquent pas en image.Est-ce que vous avez des chiffres sur les internautes qui vont lire les articles, sur le taux d'engagement ?
Snapchat ne souhaite pas que l'on communique dessus. Le taux de swipe-up pour lire l'article était conséquent mais pas très important. En revanche, les internautes qui s'efforçaient de faire le swipe-up lisaient l'article jusqu'au bout. C'est pour cette raison que l'on s'autorisait à faire des articles plus longs, aux alentours de 4 000-5 000 signes. Le taux moyen de lecture s'élevait à deux minutes et ce n'est pas une façon de parler ! On l'a pris en compte dans la refonte. Pour ne pas gâcher la dynamique du visionnage de la vidéo et en tenant compte du fait que la majorité de nos lecteurs ne s'intéressent pas forcément à l'article, mais que ceux qui s'y intéressent s'y intéressent vraiment, on continue d'en faire, mais moins et on les conçoit différemment. Les articles vont être davantage pensés comme un appoint du sujet principal, un approfondissement. Ce qui était un peu le cas avant mais qui sera plus généralisé.«On dit sans cesse que les jeunes n'arrivent pas à se concentrer plus d'une minute mais ils vont regarder les vidéos d'Hugo Décrypte qui durent une heure et demie»
Un des autres changements est que le format story va disparaître pour laisser place au format vidéo de quatre minutes, le Snapshow. Pourquoi ce choix, avec un temps d'attention qui se réduit ?
Le temps d'attention se réduit considérablement tant qu'on n'a pas réussi à la capter. On dit sans cesse que les jeunes n'arrivent pas à se concentrer plus d'une minute mais ils vont regarder les vidéos d'Hugo Décrypte qui durent une heure et demie. Il faut prendre cela en compte.On a choisi le format quatre minutes parce que cela correspond aux recommandations de Snapchat sur ce type de format. De façon purement matérielle, cela correspond à ce que l'on est capable de produire. Produire une vidéo de quatre minutes incarnée – c'est déjà une machine lourde en réalité. On construit une mini-émission de télé chaque jour avec des effectifs réduits. On n'aurait pas pu faire plus et on n'en voyait pas l'utilité.
Selon une enquête de Digiday, TikTok impose progressivement ses codes visuels à toutes les vidéos des autres plateformes, Instagram, YouTube. Devrait-on s'inquiéter d'une possible uniformisation des contenus ?
TikTok a fait la démonstration d'une forme d'efficacité. Forcément, c'est naturel de l'appliquer ailleurs pour voir ce que cela donne. Je ne dis pas que notre activité sur TikTok est totalement étrangère dans notre choix de face caméra. Évidemment, c'est lié. Notre but n'est pas de faire du TikTok sur du Snapchat : c'était vraiment la puissance narrative et le rapprochement avec les lecteurs.Est-ce que les contenus se ressemblent ? On s'est posé la question. ll y a beaucoup de face cam sur Snapshow car cela ne coûte pas cher à produire. Notre façon d'essayer d'y échapper, c'est de garder nos fondamentaux : ne pas faire forcément que du face cam, le motion design, les illustrations, les petits modules de citations, de chiffres, les fiches d'identité.
Est-ce qu'il y a un risque de cannibalisation entre vos audiences sur TikTok et Snapchat ?
Je ne pense pas. Ce ne sont pas les mêmes audiences. Il est difficile de tirer des grandes généralités sur l'utilisation des réseaux sociaux chez les jeunes. Cela peut dépendre de nombreux facteurs que l'on ne maîtrise pas du tout. Cela peut dépendre tout bêtement du lycée où tu vas. Dans l'école de mon neveu, ils se préoccupent surtout de Snapchat et délaissent TikTok. Sur Snap, la population a tendance à vieillir et sur TikTok, elle est plus jeune.L'offre éditoriale est aussi différente sur les deux. On reste une édition d'actualité sur Snapchat, là où le format de TikTok nous empêche de faire cet exercice. Une vidéo peut très bien marcher dans les mois qui suivent sa mise en ligne.