« Le succès d’une opération de content marketing est étroitement lié à son audace »
Pendant dix ans, il a été notamment le Directeur de la marque et de la publicité du groupe Capgemini, un des leaders mondiaux et première entreprise de services du numérique en France. Emmanuel Lochon est aujourd'hui Chief Marketing Officer de Capgemini Invent, la nouvelle marque lancée il y a 18 mois. Pour Story Jungle, il témoigne des évolutions inhérentes au digital pour les marques, de l'importance de la donnée et de la communication personnalisée, à l'ère des experts et de la prédominance du contenu .
Quel bilan dressez-vous de vos dix dernières années chez Capgemini, où vous avez été notamment le VP Group Branding & Advertising du Groupe ?
Emmanuel Lochon – Le bilan pourrait se résumer en 2 valeurs, qui sont d'ailleurs 2 des 7 valeurs du Groupe, l'ambition et l'audace. Dès 2010, le management du Groupe a eu le courage de concentrer 100% de la communication de marque sur le digital. Nous l'avons fait pour accroître l'impact et pouvoir mieux mesurer. La communication de marque s'est exclusivement déployée sur de nouveaux formats et de nouveaux canaux. Permettant d'atteindre plus efficacement nos audiences et nos cibles prioritaires, en particulier les décideurs business et de nouveaux profils jeunes et susceptibles d'être recrutés. Le résultat est tangible, entre la croissance de l'entreprise et l'impact des actions de marketing et de communication, la valeur de la marque a nettement progressé. Une progression plus forte que la plupart des marques de notre secteur sur le marché. Selon l'institut Brand Finance, société indépendante de conseil en évaluation de marque, la valeur de la marque Capgemini a ainsi été multipliée par cinq environ, au cours des dix dernières années.«Nous avons réalisé que l'impact d'un message transmis par un expert avait une efficacité beaucoup plus forte qu'un même message transmis par la marque elle-même»
Pensez-vous qu'être 100 % digital était une stratégie efficace ?
E. L. – Au moment où la stratégie a été adoptée, il s'agissait d'un choix audacieux. À l'époque, la plupart des marques de notre secteur, conseil, innovation, technologie et IT, ne mettaient pas tous « leurs œufs dans le même panier ». Elles ne prenaient pas le risque de se couper d'une communication traditionnelle. De choix d'audace, ce choix est devenu un choix de raison. Notre conviction était motivée par divers facteurs, dont notamment l'arrivée de la donnée. Dès 2010, les statistiques et analyses plus poussées des performances ont fait leur apparition. Certes, on ne parlait pas encore de programmatique, ni réellement de ciblage, mais le potentiel de calcul de la mesure grâce à la donnée émergeait. Très rapidement, l'impact de nos opérations a pu être mesuré très finement.Si je résume, trois axes majeurs ont fait évoluer la communication et le marketing. D'abord, le digital, puis la donnée, omniprésente et d'une importance capitale dans la transformation de nos métiers, et enfin le contenu développé pour de créer la confiance entre la marque et ses audiences. C'est ce que les médias appelleraient communément le contrat de lecture, entre une audience réceptive d'un message et la marque émettrice. Cette notion de confiance était encore mineure il y a dix ans. En 2012, avec « Expert Connect », un programme qui met en relation plus de 1000 experts Capgemini avec leurs réseaux, on a réalisé qu'un message transmis par un expert avait une efficacité beaucoup plus forte qu'un même message transmis par la marque elle-même. Data, digital et contenu nous ont ainsi aidé à développer avec succès cette relation de confiance.
Ce qui importe, finalement, c'est l'incarnation de l'expertise...
E. L. – Effectivement. Le one-to-one importe davantage que le one-to-many. Le digital offre la possibilité d'adapter le canal et d'être plus précis dans la content journey, il permet de mettre en oeuvre une communication personnalisée et adaptée au contexte.«Notre idée a consisté dès le début à faire parler les acteurs du marché, sortir du format publi-rédactionnel classique, qui ne trompe plus vraiment l'audience, en particulier BtoB, et qui est souvent au service de l'ego des marques»
Sur les dix ans passés dans les murs de Capgemini, quelles opérations ont été un vrai succès sur le plan du digital, de la data et de l'expertise de contenu ? Lesquelles ont été un échec ?
E. L. – Difficile de résumer nos succès à une opération. Clairement, les partenariats de brand content noués avec de grands médias nous ont beaucoup appris. Les succès et les échecs se retrouvent d'ailleurs dans des opérations du même type, mais pas avec les mêmes partenaires. Je n'emploierais pas le mot échec. Je qualifierais certains partenariats, d'« eau tiède », alors que d'autres nous ont permis de faire « bouillir le contenu ». Le succès est finalement étroitement lié à l'audace du média, sa capacité à sortir des règles classiques tout en respectant la frontière entre ce qui relève du partenariat et l'éditorial. Notre idée a consisté dès le début à faire parler les acteurs du marché, sortir du format publi-rédactionnel classique, qui ne trompe plus vraiment l'audience, en particulier BtoB, et qui est souvent au service de l'ego des marques. Avec l'aide de médias et d'agences de contenus, on a vite compris que ce qui intéressait réellement l'audience, c'était avant tout des témoignages. L'audience recherche le partage d'expérience. Il faut faire la part des choses entre expertise et expérience. Il est plus facile pour un décideur d'entreprise de se projeter à travers le témoignage d'un de ses pairs qu'à travers celui d'un expert. Le deuxième peut efficacement venir compléter le premier.De quel côté placez-vous le manque d'audace ?
E. L. – Il vient des deux côtés, à dire vrai. La responsabilité tient tout autant aux médias qu'aux marques. Pendant dix ans, il a fallu faire un travail d'éducation, d'analyse, d'impact pour expliquer pourquoi il était efficace de faire parler des témoins – pas toujours des clients, d'ailleurs. Il faut accepter de rester agnostique, objectif, quand on fait parler des témoins.«Une audience ne se construit pas ad vitam : les décideurs de demain ne seront pas les mêmes que ceux d'aujourd'hui»

Quel est votre mantra ?
"Better done than perfect". J'aime aussi cette citation : "it always seems impossible until it's done".Quel est votre gourou ?
Je n'ai pas spécifiquement de gourou mais de nombreuses personnes m'inspirent.Comment libérez-vous vos chakras ?
Je libère mes chakras en faisant du bricolage.On parle souvent des partenariats avec les médias, sur le marché. Est-ce que ceux-ci sont destinés à perdurer ou pensez-vous que les marques sont dans la capacité de générer leur propre audience sur leurs canaux ?
E. L. – Récemment, le patron d'un grand média américain nous disait que ça faisait très longtemps qu'il n'avait pas vu un tel engouement pour un nouveau format, avec le podcast. De toute sa carrière, il n'avait jamais vu une croissance aussi rapide. Le podcast est un bon exemple de comment une marque, grâce au digital, peut se créer son propre canal de contenu – encore faut-il réussir à le diffuser. Cette problématique de diffusion directe reste un challenge pour les marques...et une opportunité pour les médias et les plateformes de diffusion.
La question est toujours la même. Les marques ont-elles besoin des partenaires médias ? La réponse n'a pas changé, elles ont besoin d'atteindre leurs audiences cibles, audiences qui se construisent et se renouvellent en permanence. Une audience ne se construit pas ad vitam : les décideurs de demain ne seront pas les mêmes que ceux d'aujourd'hui. Le management des opérations évolue très vite. L'influence des nouvelles générations dans les organisations est importante. Vous devez trouver en permanence un moyen d'atteindre vos cibles. C'est là où précisément les médias ont un rôle clé à jouer, en plus de construire et s'adapter très vite. Quand le patron d'un média renommé dit que le podcast est en pleine explosion, c'est une façon de dire que le média se réinvente en permanence. Ce qui est une bonne chose. Les marques ont besoin de s'appuyer sur de nouveaux modèles.
Vous êtes désormais Chief Marketing Officer chez Capgemini Invent. Quels sont les défis à relever pour cette marque qui vient de se lancer il y a 18 mois ?
E. L. – C'est une nouvelle marque sur le marché de la transformation, du conseil et de l'innovation digitale, une nouvelle marque bâtie sur une expérience solide mais élargie. Nous avons pensé en effet qu'avec l'évolution du marché, il était nécessaire de réinventer le métier du conseil et de faire une nouvelle proposition à nos clients, grandes entreprises, leaders mondiaux de leurs secteurs, pour leur permettre d'aller plus vite dans leur transformation digitale en regroupant sous une même marque des profils aussi variés que designers, analystes données, d'innovateurs et toujours consultants en stratégie.En termes de défis, et avec autant de diversité, il y a un effort important de développement d'équipes de promoteurs, d'ambassadeurs, qui peuvent porter au marché la proposition de valeur de cette nouvelle marque. Nous sommes dans une démarche de construction d'experts influenceurs. Quoi de plus qualifié, en effet, que l'agrégation des réseaux de chacun des collaborateurs de Capgemini Invent.
Pour vous, le marketing doit-il forcément être au service des ventes ?
E. L. – Le marketing a évidemment un rôle clé à jouer pour le développement du business. Est-ce que l'on est au service des ventes ou est-ce que l'on a un rôle plutôt corporate ? Je pense que nous avons une approche très pragmatique. Le marketing doit analyser – à la fin du processus – l'impact qu'il génère sur le développement du chiffre d'affaires. Aujourd'hui, il n'y a quasiment plus d'opération marketing qui ne soit pas mesurée, au regard de l'impact sur les ventes.Mais au-delà de l'impact sur les ventes, il y a aussi la question des valeurs. Nous avons annoncé la semaine dernière une acquisition différente : celle de l'agence Purpose, l'une des principales agences mondiales en matière d'impact social. Cette acquisition raisonne avec l'importance des questions de mission, de raison d'être que se posent nos clients. Cette responsabilisation devient essentielle pour les marques. On lit régulièrement qu'une marque qui ne travaille pas ou qui ne s'engage pas pour la société est vouée à disparaître, ce que nos études démontrent déjà c'est que celles qui ont adopté ce type de démarche de 'croissance propre' performent mieux que les autres. Je suis convaincu que les clients et les consommateurs tiendront compte de plus en plus de cet élément-là dans leurs choix respectifs. Les certifications B-Corp ou les entreprises à mission sont vouées à devenir des standards.