La radio, grande perdante de la crise ?
Une histoire d'amour longue de 27 années : entre France Info et Jérôme Colombain, c'est fini ! Le journaliste tech a décidé de lancer son propre podcast, « Monde numérique ». Alors que la radio subit la crise, le média vient de fêter le centenaire de la première édition de Radio Tour Eiffel. Avec lui, nous avons parlé de l'avenir de l'audio et de ses axes de développement : réseaux sociaux, objets connectés et Clubhouse.
Nous venons de fêter les 100 ans de la radio et vous êtes journaliste spécialisé en technologie, ex-animateur du podcast « Nouveau monde » et auteur de plusieurs livres dont le dernier sorti : « Faut-il quitter les réseaux sociaux ? » Pourquoi LinkedIn n'y est pas ?
À l'époque, le réseau était épargné de ces problèmes qu'on voyait ailleurs.Du 31 mai au 6 juin, nous avons fêté les 100 ans de la première édition de Radio Tour Eiffel. C'est un centenaire fringant ?
C'est magnifique, d'autant plus que la radio continue son histoire. Cela montre aussi que c'est un vieux média qui a une histoire formidable. Techniquement, cela a longtemps été le média le plus simple, mais nous entrons dans une période de turbulence, de décroissance.Depuis le début de la crise, non ? L'audience cumulée a baissé de 77 % à 73 % en 2020 et nous avons perdu 2 millions d'auditeurs.
Cela peut s'expliquer : nous sommes sur le marché de l'attention et la radio doit faire face à la concurrence des écrans au sens large (jeux vidéo, streaming, réseaux sociaux). Le livre et la radio sont les deux perdants.Les radios privées décrochent : France Inter est bien ancrée devant RTL, tandis que les radios musicales souffrent. Et si le média devait se réinventer ?
Il y a des explications spécifiques mais aussi globales, dont la perte d'influence au profit d'autres médias. Europe 1 a été un « canard sans tête » en changeant de grille tous les ans. Les musicales sont victimes de la concurrence du streaming : nous avons le choix et la qualité audio.La force de la radio réside dans le live, l'instant : France Info s'en sort plutôt bien grâce à ça, et les radios classiques, avec des rendez-vous, séduisent moins de monde. Enfin, les musicales peuvent séduire par la personnalité des animateurs. Pourquoi le succès de France Inter ? C'est une radio de contenus, tandis que nous avons moins de temps et plus d'offres.
À l'occasion des 100 ans, un papier dans Le Monde retraçait tous les problèmes auxquels était confrontée la radio. Un dirigeant – sous couvert d'anonymat – expliquait qu'avec 12 à 17 minutes de publicité par heure, les programmes sont affectés et dégradés. Dans le même temps, les radios musicales privées demandent à ne plus avoir le quota de chansons françaises.
La publicité est difficile pour les auditeurs, mais nécessaire. Il y a également le risque de spirales : les audiences d'Europe 1 ont baissé et – pour maintenir les niveaux de rentrées publicitaires – ils ont ajouté de la publicité.De leur côté, les radios publiques ont la chance d'avoir très peu de publicités, ce qui énerve les radios privées. Si c'est une chance pour les auditeurs, il ne faut pas se leurrer : nous la voyons sur d'autres écrans tels que les systèmes payants (Netflix, Spotify) ou les podcasts.
Avez-vous vu des changements de consommation pendant le confinement ?
Je ne connais pas les chiffres de la radio, mais je pense que des changements d'usage existent : le confinement n'a fait que renforcer la concurrence issue d'autres médias.En quoi consiste le DAB+ ? N'avons-nous pas mis « trop » de temps à mettre en place la radio numérique ?
Cette digitalisation n'aurait pas sauvé le média. Nous avons numérisé la TV, qui en a tiré des bénéfices comme les qualités d'image et de son mais aussi l'interaction. Mais il ne faut pas rêver : je ne pense pas que cela aurait changé quelque chose.Nous avons tout de même eu 178 millions d'écoutes en France en mars 2021, soit une croissance de 14 %...
C'est normal : depuis 2007, il est obligatoire d'intégrer la technologie dans tous les postes de radio de l'Union européenne, notamment dans les voitures. Personnellement, j'ai été déçu à la suite de problèmes de réception que je n'avais pas avec la FM.Nous étions supposés revivre une vague telle que la libéralisation des bandes FM. Avez-vous l'impression que nous l'avons vécue ?
Pour moi, l'équivalence est le podcast et Clubhouse. Pas le DAB+.Il y a une concomitance entre l'audience cumulée qui baisse et l'émergence des podcasts. Cela semble se stabiliser en termes d'audience puisque nous avons 31 % de pénétration sur le marché français. Risque ou opportunité pour la radio ?
Les deux. Qu'est-ce qu'une radio aujourd'hui ? Ce qui diffuse un flux, ou une entité qui produit du contenu et le sème sur toutes les plateformes. Je suis persuadé que nous sommes dans cette confusion, cette convergence. Cela peut être une opportunité, mais il y a plusieurs types de podcasts : les replays et les natifs, qui sont faits spécialement pour le numérique, comme ce qu'a fait Radio France.Je pense qu'une émission de radio et un podcast sont différents. Nous avons coutume de dire que la radio parle à tout le monde et le podcast à une personne en particulier. Cela induit une nouvelle écriture, une nouvelle manière de présenter les choses.