Story of stories #3 : Blast, un média qui se veut « l'anti-venin »
Publié le 24 janvier 2023
Il aime la littérature avant le journalisme. Et pourtant, depuis un an et demi, il est à la tête du média d'extrême gauche Blast. Frappé par « la violence de l'État macronien », Denis Robert a décidé de reprendre le flambeau de l'info.
Face à CNews, BFM & co,
le journaliste d'investigation, documentariste et romancier veut donner un «
anti-venin » aux Français, une «
info différente », avec son nouveau média libre et indépendant contre l'autoritarisme et la violation des libertés. Celui qui se fait rare dans les médias a accepté de se livrer au micro de Story Jungle, sur son parcours, sur Blast, et sa vision du journalisme. Retrouvez notre entretien sur notre podcast Story of Stories, qui explore l'histoire derrière un succès éditorial.
00.02.00 : C'est quoi Blast ?
- Il s'agit d'une web.tv gratuite et d'un site d'info – « les deux jambes de Blast ». « Le site est moins connu et fait moins d'audience, mais les deux sont liés », explique Denis Robert.
- Le modèle repose sur le financement des sociétaires (1900 sociétaires) et des abonnés (18 347 abonnés). La moyenne du prix des abonnements s'élève à 8,60 euros.
- Le média fonctionne sans avoir recours au crédit des banques. Blast n'a jamais été en situation de déficit.
00.03.34 : Le contraire de Canal+
- L'essentiel du contenu est en accès libre. « Blast est le contraire de Canal+ dans le modèle. Alors que Canal+, c'est 90% crypté, 10% de clair, Blast, c'est 95% de clair et 5% de crypté », observe Denis Robert.
- Les abonnés de Blast ou ceux qui font des dons (défiscalisés) sont « fatigués des médias dominants ». Ils souhaitent entendre avant tout « une parole différente ».
- Blast se définit comme un média maniant l'humour, l'intelligence, la créativité. « On nous catégorise trop vite en tant que média de gauche, militant. Ce qui est absolument faux. »
- Avant de se définir de droite ou de gauche, Denis Robert est pour l'humain avant tout : « Quand je fais mes éditos, on voit bien que je ne suis pas de droite. Ce n'est pas du tout ce qui détermine les choix de sujets, les angles, etc. Après, il y a un tel déferlement de la droite et l'extrême droite aujourd'hui dans ce pays que quand on est un peu différent et qu'on donne la parole à des gens qui ont des choses à dire et qui ne passent pas dans les médias mainstream, on est catégorisé à gauche. Je n'ai pas toujours voté à gauche dans mon village, il peut m'arriver de voter à droite. Je vote pour l'humain ! »
- « Je ne suis pas sectaire ni partisan », ajoute-t-il.
00.05.38 – L'argent derrière Blast
- Lancé le 1er avril 2021, Blast comptabilise aujourd'hui 643 000 abonnés à sa chaîne YouTube.
- À son lancement, ils ont fait une campagne de crowdfunding : près d'1 million d'euros récoltés contre les 100 000 demandés, soit dix fois plus !
- « On aurait pu lever beaucoup plus si on n'avait pas été attaqué par un shitstorm à la fin sur les réseaux sociaux, disant qu'on était financé par des milliardaires. C'est archi-faux. Pas un seul centime ! », déplore Denis Robert.
- Il estime la perte à 500 000 euros. « Les derniers jours d'une campagne aussi forte que celle-là, ça ramasse plus d'argent. Le succès va au succès. Cela a été ralenti », poursuit-il.
- Face à la violence des réseaux sociaux, Denis Robert oscille entre se taire ou répondre : « Je suis tiraillé, je n'ai pas envie de répondre. On va souvent dans des explications qui nous portent préjudice. C'est pour ça que je m'exprime très peu dans les médias. »
00.08.25 – Après un an et demi d'existence, quel bilan pour Blast ?
- Un bilan « très positif » : 650 000 abonnés YouTube
- « À titre personnel, c'est très chronophage. Je ne pensais pas que cela m'amènerait aussi loin, cette histoire. »
- Blast touche une audience large, transgénérationnelle : « Mon fils a 18 ans. Tous ses copains regardent les vidéos de Paloma Moritz sur l'écologie. Les copains de mon père de 80 ans regardent aussi sur internet ! »
- Chaque semaine, Blast met en ligne 12 vidéos, généralement entre midi et 14 h et le soir. « Si on en met plus, ça se phagocyte », explique Denis Robert.
- Il y a une dizaine d'articles tous les jours sur le site. Son ADN de départ ? L'enquête !
- Alors qu'ils étaient 10 au début de l'aventure, ils sont aujourd'hui 40 : 20 CDI, 3 CDD, 7 intermittents permanents et une dizaine de pigistes réguliers.
00.11.38 – Le parcours de Denis Robert
- Denis Robert a passé douze ans à Libération, où il a notamment couvert l'affaire Grégory.
- Denis Robert revient sur l'affaire Grégory alors qu'il était jeune journaliste pour Libération : « En 1984, j'écrivais les papiers au stylo. J'étais pigiste. J'écrivais tellement de papiers que je leur coûtais plus cher en piges qu'en salaire. Ils m'ont donc embauché. »
- L'affaire Grégory s'apparente à « un tel cocktail de folie, avec surtout les mauvais côtés du journalisme ».
- Il évoque le cynisme de la presse d'alors : « Toute la violence de ces marchands de papier qui ont utilisé la douleur de cette famille, qui ont fait l'enquête à la place des magistrats, en désignant des coupables, sans aucune pudeur, comme Paris Match ».
- Serge July, directeur historique de Libération, a vite compris qu'il s'agissait du « fait divers du siècle ». Denis Robert évoque la frénésie qui s'est alors emparée du journal.
- Aujourd'hui, « on approche de la vérité ».
- En 95, il se lance dans l'écriture de romans d'investigation. En 2001 sort « Révélation$ », qui déclenche l'affaire Clearstream 1. Ces révélations lui vaudront 63 procédures dans 5 pays.
- « Quand j'ai quitté Libération, c'était pour écrire des romans. Je suis parti sans indemnités parce que j'avais envie d'écrire. »
- Le livre qui lui a ouvert les yeux ? De sang-froid, de Truman Capote (ndlr : le récit est le fruit d'une enquête de cinq ans sur le massacre d'une famille par deux cambrioleurs). « On peut faire de la littérature avec du journalisme. J'ai fait du succès de librairie qui m'ont donné une assise financière. Je n'ai jamais fait de boulot alimentaire. J'ai toujours choisi la liberté », explique Denis Robert.
- « Mes premiers ennemis sont journalistes », après l'affaire Clearstream.
- Il a été approché par des producteurs, mais il n'avait à l'époque pas l'énergie de faire des séries.
- Il vient de réaliser « La (très) grande évasion », aux côtés de Yannick Kergoat, sur l'évasion fiscale : « Pour moi, c'était mon chant du cygne. J'en ai ras le bol de toutes ces histoires de paradis fiscaux. S'il y a un mec qui allait au bout du bout des histoires, c'est ma pomme. Je me suis cogné les banquiers, les juges, les flics, les médecins : j'ai décrit ces réseaux de la finance obscure. À un moment donné, il y a une forme d'épuisement mental, je n'ai plus de mots pour décrire cet univers-là. »
00.20.57 – Qu'est-ce qui s'est passé au Média ?
- « Au départ, c'est Mélenchon et sa compagne qui veulent lancer un média pour rompre avec le ronron des médias mainstream. » Les militants de La France insoumise financent le média.
- Avril 2019 : le Média vient le chercher. « Ils sont au bout de leur vie, leur média est en train d'exploser. Il y a un gros conflit avec Aude Lancelin, directrice d'alors du Média ».
- Il reprend la main : « Les abonnements repartent. On fait du journalisme. »
- Denis Robert a accepté de reprendre la main du Média car dans sa vie personnelle, il est fatigué par Macron. Il sent la révolte populaire qui gronde en France : « Les gens font des demi-pleins. La pauvreté s'installe, quand j'allume BFM, ils parlent de Front national, c'était un délire médiatique. »
- Le Média lui permet de reprendre contact avec le réel, lui qui est plongé dans les affres de la création : « J'ai l'opportunité, en étant au Média, de retourner dans le réel. J'étais fatigué dans ma chambre à écrire mes livres. Je trouvais que le réel était beaucoup plus fort que la fiction. Pour la première fois depuis longtemps, je bascule de l'autre côté, je vais dans le réel et j'abandonne la fiction. C'est comme ça que je me retrouve au Média à Montreuil. »
- Quand il arrive, le Média a 600 000 euros de déficit. Il parvient à faire passer le média de 100 000 à 400 000 abonnés sur YouTube, 8000 abonnés payants à 12 000.
- « C'est compliqué la démocratie avec les médiocres, comme dit Bourdieu (...). Ils me licencient car je voulais faire venir des gens nouveaux », déplore-t-il.
- « Les prud'hommes sont passés, m'ont donné raison, je suis tellement estomaqué par la violence de licenciement, la bêtise des propos. J'étais à nouveau victime de gens d'une mauvaise foi totale. »
- Denis Robert n'entend pas abandonner la partie pour autant. Devant la violence de l'État macronien, la présence de Bolloré et Drahi dans le paysage médiatique, il souhaite créer un média libre... Ce sera la naissance de Blast !
- L'expérience au Media lui a donné envie de refaire du journalisme. Il lance une campagne de crowdfunding sur KissKissBankBank... « et c'est le miracle ».
00.32.04 – La structure de Blast
- Blast est une société coopérative d'intérêt collectif. Les sociétaires achètent des parts sociales – 5 euros la part. Il y a au total 1800 sociétaires. Le média fonctionne avec un conseil d'administration, dont Denis Robert est le PDG élu pour 3 ans par les sociétaires, et directeur de la rédaction (« c'est lourd à porter », avoue-t-il).
- « On aurait pu faire une entreprise commerciale mais ce n'est pas le but. L'idée, pour moi, ce n'était ni de me créer un patrimoine, ni de m'enrichir, mais de créer une forme de coopérative. »
- L'argent des abonnements et des parts sociétaires est réinvesti dans les salaires, le loyer, l'achat de matériel. Aucun dividende n'est versé. Pas de bénéfices.
- « Il y a des gens de droite qui financent Blast », assure Denis Robert.
00.35.05 – L'exécution
- Une conférence de rédaction tous les lundis.
- Une grande diversité de productions : Planète B (« Comment la science-fiction raconte le monde ? »), Quelle époque formidable...
- Un de ses buts ? Créer un endroit où tous les médias indépendants se retrouvent (StreetPress, Reflets...). Blast « est le lieu naturel » pour qu'ils réunissent leurs forces pour sortir des enquêtes.
- Le long format marche sur Blast. D'où un investissement sur un documentaire de 52 min sur l'influence de la guerre en Ukraine en Bosnie, qui sortira au mois de janvier. 100% financé par Blast et tourné par Benjamin Jung.
- Un des dangers pour Blast ? Les algorithmes de YouTube : « On refuse la publicité. On dépend beaucoup des algorithmes de la plateforme. »
- « Blast, le souffle des idées » est une nouvelle chaîne qui va prochainement voir le jour, avec des programmes culturels liés à la littérature, le cinéma. Elle va compter 12 programmes.
- Un de leurs programmes phares en public ? « Tournée générale », avec Guillaume Meurice, une sorte de spectacle qui mélange humoristes et éditorialistes. L'idée serait de faire le show en province.
- Salomé Saqué et Paloma Moritz sont deux têtes d'affiche très remarquées du média Blast. Il admire leur ténacité. Il regrette néanmoins que les médias mainstream aient tenté de « récupérer » Salomé Saqué. Paloma Moritz, « en France, elle incarne l'écologie mieux que tout le monde », siffle-t-il admiratif.
- Il souhaite voir « moins [sa] gueule à l'écran » et plus de jeunes.
00.51.57 – Blast va lancer ses Guignols de l'info
- « L'histoire des Guignols, c'est une histoire tragique, c'est la violence des riches. Bolloré a acheté Canal. Il a acheté les Guignols pour les tuer », déplore-t-il. Vincent Bolloré a gardé les droits.
- Ils ne peuvent pas utiliser la même texture que les marionnettes des Guignols, en raison de brevets déposés.
- Les marionnettes de Blast sont en cours de fabrication. Des auteurs de l'ancienne équipe les ont rejoints.
00.55.14 – Une programmation dense sur Blast
- La ligne éditoriale se fait au feeling, « sans calculs ni stratégie ». C'est un média de décryptage plus que d'actu chaude.
- Blast se positionne par rapport à ses concurrents : « S'il n'y avait pas Bolloré, on aurait beaucoup moins de succès. Ils fabriquent du venin dans le cerveau des gens. Nous, on est un anti-venin, on est quelques-uns à essayer de fabriquer une info différente. »
00.57.54 - Quelques chiffres
- 1800 sociétaires
- 2,4 millions de chiffre d'affaires. « On n'est pas loin de l'équilibre. On dépense plus qu'on ne reçoit. »
- 100 millions de vues sur YouTube
- Les pigistes sont payés 70 euros le feuillet. « Il n'y a pas d'emploi au rabais. Il n'y a pas de bénévoles. Les journalistes et la production sont payés sur 13 mois », assure-t-il.
- Denis Robert projette de quitter le navire, une fois que Blast fonctionnera, pour se replonger dans ses livres.
01.01.10 Quelle est la routine éditoriale de Denis Robert ?
- Le Monde, Libé, Courrier international, « tous les canards », Le Figaro.
- « Les trucs qui me motivent, c'est de regarder Pascal Praud. C'est tellement dingue les propos tenus, méchants. Je suis ébahi par la bêtise, la suffisance, les valeurs, le racisme (...). C'est une folie intégrale. Ça me motive de voir que je suis en désaccord sur tout. »
- « Les Drahi et les Bolloré sont en train de gagner la partie. Les Français ne se révoltent pas parce qu'ils ne sont pas informés. C'est pour ça qu'on crée Blast. La France est un pays de censure. »
- Un livre est en cours sur la notion de transmission aux générations plus jeunes.
bio
Jean-Philippe Lorenzo,
Directeur technique de Take Part Media
Jean-Philippe Lorenzo est co-fondateur en 2005 de Take Part Media et y occupe le poste de directeur technique. Il obtenu son doctorat de physique en 1998 pour une étude sur la persistence des bi-polarons à température finie dans le modèle d'Holstein adiabatique unidimmentionnel.
Docteur Ingénieur avec un triple profil, il a successivement occupé les postes de : Chef de Projet Web (Kompass-Pages Jaunes) de 2000 à 2004 Chef de produit (Service marketing Kompass-Pages Jaunes) de 2002 à 2004 Chef de projet puis Directeur du service Etudes et Développement (Expert Line) de 2005 à 2009.