Story of stories #2 : Binge Audio, la fabrique des podcasts natifs
Publié le 30 novembre 2022
Joël Ronez
Président et cofondateur de Binge Audio
Pour ce deuxième numéro, Story Jungle accueille Joël Ronez, président et cofondateur de Binge Audio, un des premiers studios en France de podcast natif. Ce vétéran des médias, passé par le pôle numérique d'Arte et ex-directeur des nouveaux médias de Radio France, revient sur les coulisses d'un projet né fin 2016 et haut-parleur des causes sociétales.
1.15 – Binge Audio, dans le paysage des podcasts français
- Binge Audio évolue dans un secteur dominé par plusieurs acteurs : Arte Radio, présent depuis 20 ans, éditeur et maison de production de podcasts natifs, Nouvelles Écoutes et Louie Media entre autres.
- « On mène une compétition acharnée, mais tout à fait fraternelle et sororale, avec Nouvelles Écoutes et Louie Media »
3.44 – État des lieux du marché du podcast
- Le nombre d'auditeurs qui écoutent du podcast natif est stable : 32% contre 33% l'année dernière.
- Cette stabilité peut s'expliquer par « les effets délétères des confinements successifs, qui ont freiné la hausse » : 20% des podcasts s'écoutent sur le trajet pour se rendre au travail. Du fait des confinements, il y a eu moins de bouche-à-oreille, le premier vecteur de propagation.
- Les fidèles écoutent davantage les podcasts.
6.00 – L'audience du podcast natif est-elle « de niche » ?
- « Quand on a un tiers de la population qui écoute du podcast natif, on ne peut pas vraiment dire que c'est de niche. »
- « C'est faux de dire qu'on ne parle qu'aux gens qui habitent le 11e, qui mangent du quinoa, qui vont chez Naturalia et qui achètent des livres à la librairie indépendante et qui sont cultivés, woke. On a reçu des courriers de toute la France pour "Les couilles sur la table", notre podcast le plus écouté, venant de communautés de zadistes dans les Pyrénées, de profs, d'employés, de professions libérales, des gens de 30-50 ans. »
- 80% des auditeurs ont moins de 35 ans chez Binge Audio, « mais il y aussi des gens plus âgés ».
10.33 – Pourquoi lancer Binge Audio ?
- Après dix ans dans les médias, Joël Ronez a souhaité arrêter de s'occuper de transition digitale pour être entièrement digital, dans un média 100% numérique.
- Après avoir assisté au succès de « Serial », le podcast d'investigation américain de « true crime », le fondateur de Binge Audio flaire le bon filon, face à une radio « en perte de monopole ».
15.57 – Le projet éditorial de Binge Audio
- Dès son lancement, l'objectif est de chercher de nouveaux sujets de société, de clivage, « mais ça ne veut pas dire que je savais lesquels ».
- Pour monter son projet, il faut s'appuyer sur les forces vives de la jeunesse : « À 40 ans, dans le métier des médias, vous êtes un ringard. Il ne faut surtout pas essayer de diriger les rédactions et imposer vos idées, après cet âge fatidique et canonique. En revanche, vous pouvez être utile en créant les conditions pour que les gens aient des idées. »
- Comme le podcast est une « petite économie », il s'agit de recruter des 20-35 ans. Comprendre que les nouveaux entrants, en début de carrière, acceptent des salaires moindres. « Si vous voulez des gens déjà accomplis, le barème n'est pas le même. »
- Binge Audio a lancé des talks de pop culture, « méprisée par la grande presse », sur le hip-hop, les séries, les films de genre.
- « On voulait un point de vue érudit sur les choses populaires. »
- « On a commencé à faire des talks parce que c'est le format qui coûte le moins cher, de mettre des personnes autour d'une table. »
- Binge Audio, c'est une soixantaine de podcasts créés – incluant les podcasts de marques – depuis son origine.
21.30 - La sélection des projets
- « On a une proportion équivalente entre les projets qui nous sont amenés et nos réflexions. »
- « On est une petite maison. » Binge Audio lance un à deux programmes par an. Le studio fonctionne de manière collective et collégiale.
- Sur les projets en cours : « On a une culture de l'écoute collective. On fait des séances d'écoute en interne. On se met dans le studio, on s'assoit par terre, on écoute, on débriefe. Cela permet de rectifier des choses. »
31.50 - Le développement de l'audience
- Il y a peu de leviers sur le podcast.
- « Le marketing traditionnel, l'achat d'espaces sur les réseaux sociaux, c'est jeter l'argent par les fenêtres. On se sert des réseaux sociaux surtout pour entretenir notre communauté. On ne va pas y chercher de nouveaux auditeurs. »
- Instagram est la « grosse communauté des podcasters ».
- Sur Facebook, Binge Audio ne fait pas de paid pour une raison « ubuesque » : « Suite à une tentative de phishing, on a perdu accès à tous nos comptes Facebook. Facebook est incapable de nous les rendre. Ça fait quatre mois. On fait des économies malgré nous. »
- 99,9% du temps, c'est le bouche-à-oreille qui fonctionne pour faire connaître un podcast.
37.27 – Faire de la vidéo, ça marche ?
- La vidéo est un support efficace pour la promotion, mais son recours n'est pas systématique en raison des coûts.
- Il faut doubler, voire tripler les budgets horaires de production technique.
39.00 – C'est quoi la métrique du succès ?
- « Si vous parlez de publicité, vous pouvez monétiser de manière convenable à partir de 100 000 écoutes cumulées par mois. »
- « Si vous êtes en dessous, vous pouvez vous en sortir mais vous complétez des plans d'achat plutôt que d'être la motivation d'achat. »
- En dessous de 50 000 écoutes, il est difficile d'exister.
41.44 – Le modèle économique des podcasts
- Trois types de podcasts : le replay (dérivé d'un produit amorti par l'antenne), les studios de podcasts, et les indépendants (qui « ne font pas de marge la plupart du temps »).
- 60% des revenus de Binge Audio proviennent de la production B2B pour les marques comme Le Bon Coin, la Fondation Pinault, la SNCF. Les plateformes telles que Spotify, Deezer et Audible demandent également des programmes diffusés en exclusif chez elles.
- Un quart des revenus vient des auditeurs grâce au lancement d'un podcast payant (1 600 abonnés qui payent 5 euros par mois), de la billetterie (10 à 15 000 billets ont été vendus pour des spectacles, interventions...), et l'activité d'édition de livres.
- « Les Couilles sur la table », c'est 50 000 exemplaires vendus en grand format, 35 000 en poche. « Le Cœur sur la table », 30 000 livres vendus. « Ces livres sont bien défendus par les libraires indépendants. »
51.15 – La création d'un « mini CNC audio »
- Le podcast est la seule industrie culturelle qui ne bénéficie pas d'aide.
- Il y a une forte iniquité avec le secteur de la production audiovisuelle et télévisuelle. « On réclame de mettre fin à cette iniquité. »
- « C'est un problème pour faire des offres ambitieuses, qui amène en creux un problème de soft power pour la francophonie. »
54.32 – Les chiffres de Binge Audio
- 18 personnes y travaillent.
- En 2021, Binge Audio a réalisé un chiffre d'affaires de 2 millions d'euros. « Nous ne sommes pas encore à l'équilibre », prévient Joël Ronez.
- 500 à 700 000 auditeurs uniques chez Binge Audio.
- Le média a réalisé plusieurs levées de fonds, notamment auprès des Echos-Le Parisien en 2018 et auprès des auditeurs.
59.44 – Routine éditoriale
- « Quand on part en équipe sur un tournage, on écoute le top 5 de Spotify avec un regard parfois sarcastique, critique. »
- Joël Ronez est un adepte de « À voix nue » sur France Culture, des « Affaires sensibles » (écouté avec ses enfants), Le Parisien (« toute la presse française pioche dans Le Parisien, c'est un secret de Polichinelle »), un Society sur deux, So Foot (« ils sont capables de trouver un joueur d'une troisième division tchèque et lui faire raconter des trucs passionnants »).
- Il traîne aussi beaucoup sur Twitter, sans beaucoup de résultats : « Je passe beaucoup trop de temps sur Twitter, ça ne donne strictement aucune idée mais c'est plutôt une addiction », et fan de l'appli Le Monde (« ma drogue à moi »).