Le journal Le Monde tourne sur TikTok… et ça marche !
« L'actualité simple, basique et en musique. » Depuis le 15 juin 2020, le journal Le Monde a investi l'application la plus téléchargée de 2019, TikTok, avec des vidéos pédagos et ludiques. Un canal utilisé pour atteindre un nouveau public, la génération Z, qui bien souvent ne connaît pas ce quotidien vénérable.
En un mois, le compte a rassemblé près de 30 000 abonnés. Aux commandes : une équipe de trois journalistes, qui s'affairent également sur Snapchat : Olivier Laffargue, chef du service Snapchat / TikTok au Monde, Laetitia Béraud et Pierre Lecornu, journalistes vidéo au Discover du Monde.fr. Rencontre avec Laetitia Béraud, l'une des forces de l'équipe, pour un bilan de l'opération après un mois de test. Les internautes ont ainsi pu découvrir sur le compte TikTok du Monde des pastilles sur Vladimir Poutine, la pollution de Paris, la hausse des températures, les municipales ou encore la situation des ours bruns en France. Warning : vous ne trouverez ni chorégraphies rythmées entre journalistes, ni tutos beauté, ni plaisanteries potaches délirantes : Le Monde reste Le Monde !
Qu'est-ce qui vous a décidée à vous lancer maintenant sur ce nouveau canal, très plébiscité chez le jeune public ? [La population de TikTok est, pour les trois quarts, âgée de moins de 24 ans.]
Laetitia Béraud : C'est une réflexion que l'on a depuis un petit moment. Au Monde, la stratégie est d'avoir une présence sur tous les grands réseaux sociaux, de promouvoir les articles produits par la rédaction et les informations vérifiées sur toutes les plateformes : WhatsApp, Twitter, Facebook, Snapchat – Le Monde est un des partenaires historiques de Snapchat. L'élément déclencheur a été le confinement, puisqu'on a vu que TikTok faisait un carton au-delà du jeune public. Si l'application est un réseau social à la base à destination des jeunes, beaucoup d'autres utilisateurs se sont approprié la plateforme, en publiant des contenus créatifs, originaux et légers.«Le but est de donner toutes les clés en une minute»
Le journal Le Monde est présent sur Snapchat depuis 2016, avec une équipe de six journalistes, pour toucher une audience plus jeune. Quelle est la différence entre les stratégies de contenus déployées sur Snapchat et TikTok ?
L. B. : Tout d'abord, nous avons le même but en nous déployant sur ces deux plateformes : parler à un public assez jeune, avec un contenu pédagogique facile d'accès. Pas besoin de s'épuiser pendant dix minutes pour comprendre un sujet. Le but est de donner toutes les clés en une minute – sur TikTok, la durée est même moindre. À la fin du contenu, il faut avoir compris le concept dans les grandes lignes.En ce qui concerne les différences, sur Snapchat, nous utilisons les codes de la plateforme, avec le recours au motion design, aux effets spéciaux, au montage. Sur TikTok, on va privilégier le « do it yourself » : les utilisateurs ont souvent recours à des contenus pratiques à travers des numéros de magie, des tutoriels. Nous détournons ainsi ces codes au service de l'information, qui peut se faire avec tout et n'importe quoi. On réalise ainsi beaucoup de datavisualisation, avec des objets du quotidien. C'est notre ligne éditoriale, qui a été adoptée naturellement lors du confinement, puisque nous étions coincés chez nous. Cela a plu. Plus que les challenges, nous nous sommes plutôt reconnus dans les tutoriels, les trucs et astuces, les vidéos du quotidien.
@lemondefr Jean Castex devient le 24e Premier ministre de la Ve République. Petite présentation de ceux du XXIe siècle en chanson. ##tiktokacademie ##france
♬ son original - lemondefr
Des sources d'inspiration ?
L. B. : Bien sûr, nous restons attentifs aux contenus produits par nos concurrents. Le plus connu reste le Washington Post, qui a réussi à rassembler plus de 560 000 abonnés, avec une démarche ludique. Son but est de manager et de faire vivre une communauté, avec beaucoup de blagues et moins d'informations. Il est très difficile de faire de l'information sur un réseau qui n'est pas fait pour ça à la base. On va s'inspirer de contenus d'utilisateurs plutôt que de sources institutionnelles. Le Monde a déjà une grande expérience de la vidéo. Celle-ci est utile pour parvenir à « accrocher » l'utilisateur en moins de trois secondes, dans un flux continu de contenus, sur des sujets comme la déforestation ou la nomination du Premier ministre.D'un point de vue personnel, j'apprécie beaucoup la TikTokeuse @detective_avec_larme : elle raconte, avec beaucoup d'humour, des anecdotes historiques avec des paroles de chansons d'aujourd'hui, style PNL ou Booba. Et parvient toujours à toucher juste. Elle montre qu'il est possible de raconter un conflit géopolitique en conversation TikTok. Ce type de pédagogie me paraît très efficace. Mais pour des questions de droits d'auteur, il est encore un peu compliqué de l'adopter au Monde. Ce type de logique conversationnelle s'applique déjà par écrit avec les Décodeurs : ils résument des débats en conversation SMS [« Faut-il ou non installer "Stop Covid" ? Le débat résumé en une conversation SMS » : la reconstitution d'un échange fictif entre Bob et Alice, deux citoyens bien informés, qui exposent leurs arguments.]
J'aime également les contenus de @astroathens, qui explique des principes de physique quantique avec des objets du quotidien.
Après un mois de test, quels sont les retours ?
L. B. : Sur Twitter, de nombreux journalistes ont pointé le fait que la plupart des jeunes ne nous connaissent pas. Beaucoup de jeunes, quant à eux, se sont demandé, dans les commentaires, qui nous étions et pourquoi nous avions une certification. Cela nous amuse. Cette réaction spontanée renforce notre idée que nous sommes bien à notre place. On a envie d'être identifiés par nos lecteurs, comme une source d'infos fiables. Notre stratégie à long terme est de toucher un public de jeunes pour qu'ils nous connaissent et qu'ils aient l'image de marque du Monde en tête, pour que plus tard, lorsqu'ils disposeront d'un plus gros pouvoir d'achat, ils s'y abonnent.Dans l'ensemble, les retours sont positifs et saluent les contenus pédagogiques rapides et concis. Nos abonnés continuent de croître. Chaque vidéo fait plusieurs milliers de vues. Il n'y en a pas une qui fasse un flop. Alors que nos concurrents, sans les citer, sur un ratio de sept ou huit vidéos, en ont généralement six ou sept qui flopent. C'est-à-dire qui n'accumulent que quelques centaines ou milliers de vues. Nos vidéos dépassent en général les 30 000 vues, ce qui témoigne d'un intérêt de la part des utilisateurs.
Il faut savoir que l'écrasante majorité des spectateurs regardent nos vidéos à travers la proposition de l'algorithme, sur la page « Pour toi ». Ils tombent dessus par hasard. Ils n'ont pas fait la démarche de nous chercher. C'est le mystère de l'algorithme qui pousse les vidéos qui performent le mieux.
Après, il n'y a pas de secret, les vidéos qui rencontrent le plus de succès concernent la pop culture, l'infotainment, comme ce que produisent Konbini ou Brut.