"Il s’agit d'adopter une communication humble vis-à-vis de la situation actuelle"
Comment communiquer en période de crise, quand on est un grand groupe comme Renault ? Quel impact le Covid a-t-il eu sur l'approche de la communication ? Quels sont les canaux plébiscités pour séduire une cible jeune, friande de « snackable content » ? C'est à ces questions que répond Emmanuel Guinot, Head of Campaigns, Content
Vous avez lancé récemment Watt, un chatbot dédié à la mobilité du futur, disponible sur Facebook Messenger, qui fait le « pari du conversationnel ». Pourquoi avoir choisi ce canal plutôt traditionnel pour diffuser vos contenus ?
Emmanuel Guinot – Le chatbot (« Chat » comme discussion en ligne et « bot » comme robot) peut en effet paraître classique. Mais il est efficace. Il propose une expérience ludique et pédagogique, destinée à adresser à une cible plus jeune des messages corporate. Grâce à lui, nous pouvons porter au plus grand nombre certaines thématiques qui nous tiennent à cœur : électrification de la gamme Renault, innovations en cours dans l'industrie automobile, futur de la mobilité, nouvelles tendances du secteur...Sur Watt, la première conversation débute par un test de personnalité afin de déterminer les sujets qui intéressent le plus l'utilisateur. Le robot propose ensuite une histoire personnalisée, avec plusieurs scénarios. A travers la conversation, il met en avant certains articles publiés sur l'une des plateformes du groupe Renault, susceptibles d'intéresser l'utilisateur. C'est l'expérience du « snackable content ».
«Le chatbot engendre une relation affinitaire forte avec notre audience et permet de conquérir un nouveau public.»
Quels ont été vos retours ?
E. G. – Ce format a déjà fait ses preuves par le passé. En 2019, le Groupe Renault s'est déjà associé à Jam (spécialiste du marketing conversationnel) pour annoncer le lancement d'un de nos véhicules phares, Nouvelle ZOE, auprès des millenials. Conclusions de cette opération ? Le chatbot engendre une relation affinitaire forte avec notre audience et permet de conquérir un nouveau public. Une cible, qui ne va pas naturellement suivre les comptes « classiques » du groupe. Ces audiences recherchent du « snackable content » : un contenu plus personnalisé, adapté, de l'interaction plutôt que de l'information descendante, du contenu pédagogique, en somme... qui vient à eux directement.En ce qui concerne le chatbot Watt, les retours sont très positifs, au vu de la campagne paid menée sur des personnes susceptibles d'adhérer au concept et aux sujets proposés. Il était important pour nous de ne pas nous montrer intrusifs : le chatbot ne s'enclenche pas « tout seul ».
«Conquérir de nouvelles audiences ne se fait donc pas nécessairement à des fins d'achat, de ventes immédiates, mais plutôt à des fins de sensibilisation.»
Un objectif phare pour le Groupe Renault : rajeunir son audience ?

Quel est votre mantra ?
C'est probablement cliché mais l'une des premières expressions anglophones qu'une Professeure m'a appris au collège, je crois, fut « Where there's a will, there's a way ». Depuis, elle est restée en moi et cela témoigne en tout cas de la nécessité de choisir l'optimisme et la persévérance.Quel est votre gourou ?
Probablement l'artiste de folk-rock Neil Young : pour sa créativité permanente et ses engagements.Comment libérez-vous vos chakras ?
Avec de la musique, partout, tout le temps. Elle m'accompagne depuis mon enfance. J'ai eu la chance d'être pendant plusieurs années investi dans le monde du journalisme musical : cela reste pour moi une source d'énergie sans pareil.Dans les dix prochaines années, le monde de l'automobile va faire face à des enjeux inédits. On assiste aujourd'hui à une révolution à la fois technologique (le moteur électrique, l'hydrogène...) et d'usages. En Europe, l'achat individuel de véhicule n'est plus forcément systématiquement d'actualité dans les grandes métropoles. Les véhicules partagés vont apparaître comme une alternative séduisante pour beaucoup de jeunes conducteurs. Conquérir de nouvelles audiences ne se fait donc pas nécessairement à des fins d'achat, de ventes immédiates, mais plutôt à des fins de sensibilisation. Et notamment à l'écosystème autour de la mobilité électrique. L'objectif final est d'expliquer cette transition dans laquelle nous sommes engagés, comme d'autres acteurs historiques.
Quel type de communication privilégiez-vous au sein du groupe Renault ?
E. G. – Nous activons tous types de communication bien sûr, en fonction des cibles, des objectifs et des régions du monde dans lesquelles nous sommes implantés. La communication corporate, à la différence peut-être du marketing pur, a tendance à se reposer majoritairement sur des canaux plus traditionnels : la communication top down, interne ou externe, les relations-presse et les réseaux sociaux en vitrine. En tant que marque holding, nous essayons d'aller bien au-delà. Il peut s'agir d'employee advocacy, à plusieurs niveaux avec des collaborateurs ambassadeurs, créateurs de contenus. De relations de longue durée avec des influenceurs associés également à notre stratégie de communication. Quant aux réseaux sociaux, nous essayons au maximum d'innover à travers notre écosystème qui va bien sûr de Facebook à Linkedin, en passant par Instagram, Twitter...Cela fait trois ans ainsi que l'on met un point d'honneur à faire du test and learn, à s'investir sur de nouvelles typologies de format.
En 2007 pour le salon automobile de Francfort, nous avons monté l'opération « Time Capsule ». Avec l'aide d'un BOT lié au compte Twitter du Groupe Renault, les participants de l'événement étaient invités à partager leur vision du véhicule du futur en 2030, à travers un « Direct Message ». Un message qui serait dissimulé pour être déterré bien plus tard dans le futur... en réalité dès la fin de la même année, au moment du reveal d'un de nos véhicules, SYMBIOZ, un show-car autonome, électrique et connecté, symbole de sa vision de la mobilité à l'horizon 2030.. Cette opération a généré une mécanique conversationnelle assez forte. Et a permis à Renault d'émerger au milieu des autres constructeurs présents, à la faveur.
Je pense également à notre jeu collaboratif en réalité alterné, lancé en avril 2018, pour découvrir la mobilité à l'heure de la smart city. « Mobility Theory » est une expérience immersive, qui se joue à la fois sur les réseaux sociaux, au sein des plateformes de gaming (Discord) et dans le monde réel. L'objectif était de localiser un certain Laurent Marcovick. Nous avons disséminé des indices sur des médias partenaires et des lieux physiques. Cela a naturellement généré de la conversation en organique, sur les réseaux sociaux des participants et contribuer à faire parler de Renault de manière ludique et inédite.
«La F1 génère de très fortes audience et assure une notoriété à l'échelle internationale.»
Vous faites également participer des influenceurs de renom, dans des petites pastilles vidéos de 3 minutes. Récemment le pilote Renault DP World F1 Team Esteban Ocon et l'influenceur français WorldSupercars, qui découvrent une de vos nouvelles gammes hybrides. Quelle a été la logique derrière ce dispositif ?
E. G. – La F1 génère de très fortes audience et assure une notoriété à l'échelle internationale. Elle nous aide à des fins d'awareness sur des marchés sur lesquels nous sommes en développement, comme le Brésil ou l'Inde, des marchés où la marque Renault est connue, mais pas autant qu'en France. La série Netflix Drive to survive, qui existe maintenant depuis deux saisons et met en scène le monde de la F1, a beaucoup contribué à étendre les communautés de fans de Formule 1, et à les rajeunir. C'est une série très efficace, qui génère beaucoup d'émotion. Elle montre qu'au-delà de la performance sportive, il y a une dimension humaine très forte, puisque c'est un challenge assez difficile d'un point de vue sportif. Et une innovation technologique de pointe. Notre objectif, à travers le dialogue entre WorldSupercars et Esteban, était bien de montrer à quel point notre engagement technologique et humain dans cette discipline a servi le développement de nos nouveaux modèles de gamme, en l'occurrence.Quelle stratégie de communication avez-vous adoptée pendant le confinement ?
E. G. – Tout le monde a été pris de court. Notre objectif était d'accompagner l'activité non seulement quand elle s'arrête, mais également lors de sa reprise. La priorité était de communiquer avec nos collaborateurs. C'était d'abord des enjeux de communication interne.Concernant la communication externe, et digitale, il s'agissait avant tout de mettre en avant des initiatives solidaires du Groupe Renault qui avaient lieu partout dans le monde, en gardant une posture informative : dons, bénévolat, matériel médical, visières de protection, entretien de véhicules prioritaires (ambulances, gendarmes) On souhaitait informer et valoriser les initiatives qui venaient des équipes mais sans trop en faire. Il ne s'agissait surtout pas de lancer des quelconques campagnes paid, sur le sujet. Cela aurait été déplacé ; il fallait, à mon sens, pour le coup opter pour une communication corporate très classique.
Ma conviction était qu'il était préférable par ailleurs d'éviter des campagnes de communication ou de marketing « alibi » sur la situation, avec des références explicites sur le fait d'être en confinement chez soi. C'est une situation très grave dont nous ne sommes d'ailleurs pas sortis. Il s'agit, en tant que groupe, d'adopter une communication humble, vis-à-vis de la situation actuelle. En parallèle, nous avons tenu à garder le lien avec nos audiences, avec des sujets un peu plus éloignés du business, mais qui sont au cœur de notre ADN : l'occasion de mettre en avant des sujets d'innovation (concept car) d'engagements (RSE), de revisiter les 120 ans d'histoire du groupe) ou de donner un éclairage inédit sur notre engagement en Formule 1. Le tout à la faveur de contenus visuels, audios ou d'articles pour continuer à raconter la vie de l'entreprise auprès de nos communautés organiques.
Pour la reprise, nous avons bien sûr une priorité : soutenir un plan produit autour d'une nouvelle gamme de véhicules hybrides, notamment en expliquant la dimension innovante de ces produits et la manière dont ils ont été pensés par nos ingénieurs.
Quel impact le Covid a-t-il eu sur l'approche de la communication ?
E. G. – Dans la mesure où nous ne sommes pas sortis de la crise, quand on regarde à l'échelle mondiale, il est encore bien trop tôt pour en tirer des leçons marketing ou communication. Une chose est sûre : les budgets ont été fortement impactés. Ce qui amène à une redéfinition des priorités. Il y a une tendance qui se dégage, révélée par l'étude Cision, qui est la suivante : on va peut-être continuer à miser davantage sur des activations sociales media ou influence créatrices de valeur ajoutée, de contenus ciblés.Fatalement, les activités événementielles sont impactées, ne serait-ce que parce qu'elles sont impossibles à mettre en place au moment où l'on se parle, dans leur format classique, pour des raisons sanitaires. Cela nous pousse à nous interroger : comment révéler demain un véhicule au grand public ? L'usage, dans notre secteur, est de le faire très souvent dans un salon automobile. Aujourd'hui, tous les constructeurs sont en train d'adopter des approches plus hybrides entre le digital et le physique. Les véhicules sont bien sûr proposés à des journalistes, présentés au grand public, mais seront plus fortement valorisés sur le digital, avec des expériences complémentaires. Pas seulement sur les réseaux sociaux, mais aussi à travers les sites – des immersions possibles dans le véhicule – en 360° pour avoir des infos complémentaires et interactives. Le tout est de trouver un équilibre.
«Instagram répond aux critères clés de l'audience que nous visons avec des contenus snackables, tantôt visuels, aspirationnels, tantôt pédagogiques (...)»