« Partager du contenu pédagogique, c’est un premier pas »
Depuis plusieurs jours, les marques prennent position en faveur du mouvement Black Lives Matter. Beaucoup ont notamment participé au "Blackout Tuesday" en noircissant leurs comptes de médias sociaux avec des carrés noirs en signe de solidarité avec les protestations. Stratégie sincère ou opportuniste ? Éléments de réponse avec Stéphanie Laporte, Directrice agence social media OTTA
«Tout est stratégique quand on est une marque, mais ce qui fait la différence, ce sont les actes»
Les marques ont été nombreuses à afficher leur soutien au mouvement Black Lives Matter - avec une grande rapidité pour certaines (Nike, Disney, Netflix, Adidas). Stratégie sincère ou opportuniste ?
Stéphanie Laporte – Pour des marques comme Nike ou Netflix, qui sont créatrices de contenus engagés et porteuses de messages forts, pédagogiques et inclusifs depuis des années, c'est évident que le positionnement est sincère. Pour des marques moins frontalement engagées, ou ayant un passé trouble sur le sujet (comme Disney, une marque "ancienne" et qui a énormément évolué à la fois dans ses productions et pratiques internes), la question peut se poser. Tout est stratégique quand on est une marque, mais ce qui fait la différence, ce sont les actes, les pratiques internes réelles.Même les médias qui couvrent le mouvement se retrouvent épinglés : leur traitement du sujet peut être superficiel ou carrément à contresens, puisqu'au sein des rédactions, on trouve rarement des personnes concernées, et donc en mesure de parler du problème et de comprendre le phénomène de protestation, et ses ramifications. Bref, tout le monde est mal à l'aise, et il était sans doute moins difficile et moins "clivant" de réagir face aux koalas brûlés lors des incendies en Australie car l'environnement est maintenant devenu un sujet "neutre" et une évidence pour la grande majorité de la population.
«Pour les marques, le mouvement du "carré noir" sur Instagram, a été salvateur.»
Comment éviter une communication trop opportuniste sur ce sujet ? Faut-il absolument faire "entendre sa voix" ?
S.L. – Ici, on constate que la France a une position curieuse, et unique. Aux USA et dans d'autres pays, il est indispensable pour une marque de se positionner lors d'événements aussi dramatiques, de s'exprimer, car le silence est condamné. En France, les marques se taisent généralement ou émettent des messages neutres (ou carrément des contresens). Cela s'explique en particulier parce que les entreprises françaises sont encore habituées à une communication très verticale et très commerciale (j'émets un message, achetez mon produit mais je ne suis pas prête à vous laisser la parole si je ne maîtrise pas 100% du commentaire, et je veux que tout le monde m'aime). Les marques sont souvent maladroites, et actuellement perdues car elles oscillent entre réflexe du "rebond sur actualité" pratiqué depuis des années sur les réseaux sociaux, et la peur de s'exprimer car elles ne maîtrisent pas le sujet.Et pour cause : les communicants et les décideurs ne sont généralement pas concernés par le problème, puisqu'ils ne subissent que très rarement la discrimination, étant rarement issus de minorités (et/ou étant trop rarement des femmes, cf phénomène #Metoo). Ils sont donc bien en peine de trouver une posture de communication, et pour certains, le mouvement du "carré noir" sur Instagram, a été salvateur, ainsi que les photos stock ou emoji avec des mains de toutes les couleurs. Ouf ! On a pu diffuser quelque chose (même si le problème n'est toujours pas saisi et qu'il ne sera pas adressé en interne).
Cela reste curieux, car en France contrairement aux USA, le racisme est un délit et non une opinion: s'exprimer et agir contre le racisme devrait donc être l'action la plus évidente.
Comment aller au-delà des carrés noirs et des emojis ?
S.L. – Partager du contenu pédagogique c'est un premier pas. Parler de ses actions réelles en faveur de l'inclusion et de la diversité aussi (si elles existent). Ou publier un manifeste de remise en question, reconnaissant en toute transparence les erreurs passées et les problèmes à solutionner au sein de l'entreprise, ainsi qu'un engagement ferme de progrès. Devenir mécène d'une association pour l'inclusion (don financier et/ou bénévolat) et amplifier son message. Par ailleurs, je pense que l'entreprise peut et doit laisser la parole à des collaborateurs concernés...et s'ils n'en ont pas, se poser les bonnes questions RH.Les entreprises françaises n'ont acquis que tardivement une conscience sociale (au-delà de l'ESS, l'entreprise à mission, qui se dote d'une raison d'être, date seulement de la loi Pacte, votée en 2019), et il est vrai que certaines tombent malheureusement dans le "purpose-washing" (un engagement de façade, sans avoir encore le réflexe d'agir concrètement ni de questionner ses propres pratiques).