Communication politique: rester audible dans le vacarme des réseaux sociaux
À moins d'un mois du premier tour de l'élection présidentielle, la campagne électorale a du mal à décoller. Les candidats n'impriment pas.
Discussion entre Kéliane Martenon, ancienne responsable communication numérique à Bercy et auprès de Bruno Le Maire et Alexandra Klinnik, de la rédaction de Story Jungle.
Comment arrive-t-on à l'Élysée pour faire de la communication politique ?
Il n'existe pas de parcours type pour arriver à l'Élysée. À l'origine, rien ne me prédestinait à la communication politique, car j'ai un parcours en affaires publiques à Sciences Po. J'ai commencé à m'y intéresser en parallèle de mes études. De fil en aiguille, je suis devenue chargée de la communication numérique de Bruno Le Maire en 2014. Après une pause, j'ai rejoint l'équipe Communication numérique de l'Élysée.Stratégie de contenus : pouvez-vous nous donner quelques exemples de stratégies de communication que vous avez réussi à établir ?
Nous avons testé de nouveaux formats auprès de Bruno Le Maire. Il a été le premier homme politique à faire une interview avec un YouTubeur (Hugo Travers). À l'époque, il n'était pas évident pour un politique d'accepter de parler à un YouTubeur et de lui conférer le même traitement qu'un journaliste. Nous avons également développé une communication incarnée sur les réseaux sociaux, grâce à une FAQ (foire aux questions) organisée chaque mois par Bruno Le Maire. Ces stratégies étaient pertinentes, non pas pour leur avant-gardisme mais parce qu'elles servaient une vision de la politique.À l'Élysée, notre équipe a travaillé avec des influenceurs. Même si ce genre de format est souvent connoté de manière péjorative, il permet d'élargir son public et de toucher des communautés particulièrement engagées. Joe Biden, par exemple, a compris qu'à 70 ans, il n'avait pas les moyens d'investir TikTok sans en avoir les codes. Il a donc choisi d'interviewer des influenceurs et de parler à leur public à travers leur propre chaîne TikTok.
À lire : Comment bâtir une communication audacieuse : discussion avec Patrice Bégay, directeur de la communication de Bpifrance.
Stratégie d'influence : pensez-vous que les politiques français puissent s'approprier cette technique ? Je pense à Yannick Jadot qui a confié son compte TikTok au jeune de 18 ans Octave Plessis.
Oui, si c'est assumé. Il s'agit d'une solution pour rester authentique. Je rejoins Jean Massiet lorsqu'il souligne qu'on ne « reprochera jamais à un politique de ne pas être sur un réseau. En revanche, on lui reprochera d'être mal sur un réseau ».Éric Benzekri, le scénariste de « Baron noir », milite pour que les hommes politiques se fassent plutôt rares dans leurs prises de paroles. D'après lui : « L'absence crée le désir. » Il me semble que vous êtes en accord avec sa réflexion. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Effectivement. Les réseaux sociaux sont envahis par un flux permanent de contenu. On assiste à un véritable phénomène d'infobésité. Un compte Twitter de politique va relayer toute son actualité et devenir un album photo ou un nouveau tome de Martine à la plage ou Martine fait ses courses. Il ne subsiste plus aucune hiérarchie de l'information. Pour être audible, il est primordial de créer un contenu qui soit exclusif et pas seulement faire une curation de toute son actualité.Le parfait exemple est Angela Merkel, l'une des rares dirigeantes à ne pas être sur les réseaux sociaux. Pour autant, sa notoriété n'en a pas souffert.
Nous sommes en pleine crise de confiance entre citoyens et politiques. Il est donc nécessaire de communiquer davantage sur les actes plutôt que de porter des messages creux pour X ou Y. Les réseaux sociaux ne sont qu'un canal parmi tant d'autres. Il ne fait pas sens d'importuner 60 000 abonnés sur des sujets qui ne les intéressent pas.
Quels conseils pour rester authentique dans ce type de discours politisé ?
Miser sur ses forces. Je pense à Bruno Le Maire qui est plus à l'aise à l'écrit qu'en format vidéo. Sa plume incarne sa force. Dans de telles circonstances, il faut privilégier des médiums écrits, lancer une newsletter, etc. Gabriel Attal, quant à lui, maîtrise les clés des stories Instagram. Il est urgent de créer du contenu par soi-même, car un community manager n'aura jamais le ton du politique. D'autant plus que le temps n'est pas une excuse. Préparer un post pour les réseaux sociaux demande beaucoup moins de préparation qu'une matinale.J'aimerais aborder le sujet de la campagne électorale. Avez-vous remarqué de grandes tendances de communication politique ou de personal branding dans cette campagne atone ?
Je ne vois pas de grandes tendances innovantes. La seule innovation qui a eu lieu cette année est la « netflixisation » de la campagne, mais je suis modérée par rapport à l'emballement observé autour de ce format. Tout simplement parce qu'il faut se poser la question du public touché. Les webséries lancées par les candidats comme Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon font le buzz, mais au fur et à mesure des épisodes, les audiences diminuent. Seuls les militants subsistent alors que l'enjeu de cette présidentielle est de parler aux abstentionnistes.À lire : « C'est une campagne de morts-vivants », Jacques Séguéla, lors de la conférence sur « Les nouvelles tendances de la communication politique » organisée par Stratégies.