Les articles audio, new shining stars
Au commencement était le Verbe. Puis vint la radio. Puis le podcast... Et aujourd'hui les articles audio ! Si les podcasts sont actuellement sous les feux de la rampe, un rapport mené par le journaliste Gabe Bullard pour le Nieman Reports met en avant le potentiel insoupçonné des articles audio. C'est-à-dire la lecture à voix haute de contenus déjà écrits et publiés par la Rédaction, à mi-chemin entre les livres audio et le podcast. Un format plébiscité par les plus grandes rédactions telles que le Harvard Business Review, The New Yorker, The Economist ou encore L'Express et Le Monde diplomatique. À la clé de ce format : une audience fidèle et loyale, qui écoute les contenus (presque) jusqu'au bout.
Une expérience pratique pour les auditeurs
Sur le papier, le format ne fait guère rêver. Une seule voix, aucun son extérieur, aucune musique pour harmoniser l'ensemble : l'article audio joue la carte de la sobriété. « À une époque où de nombreux podcasts proposent des récits dramatiques et un son sophistiqué, les articles audio ne délivrent peut-être pas l'expérience d'écoute la plus solide, mais ils offrent une expérience pratique pour les auditeurs. Les articles audio sont destinés aux personnes trop occupées pour lire mais qui veulent savoir ce qui se passe », contextualise le journaliste Gabe Bullard. Ils permettent de donner une seconde vie à de longs articles, souvent relégués aux oubliettes faute de motivation et de temps nécessaire.Cette demande pressante pour le format audio émane directement des lecteurs, comme l'explique à Story Jungle, Jim Bodor, le directeur général de la stratégie des produits numériques du Harvard Business Review : « Nous avons commencé à étudier les possibilités d'offrir des articles narrés aux lecteurs après avoir entendu un certain nombre d'utilisateurs dire qu'ils souhaitaient ces options et qu'ils avaient recours à des outils comme Pocket pour générer des versions audio de nos histoires ». Pour le journal, il s'agissait de coller aux usages de son lectorat : « Il existe une théorie selon laquelle l'audio est en train de devenir une forme dominante de consommation sur le web, et pourrait même devenir la forme dominante de consommation. Nous voulions être prêts pour cela, et commencer à comprendre comment les lecteurs s'engagent dans ce type de contenu », nous précise Jim Bodor.
«L'audio a été crucial pour nous en termes de rétention»
Un feed-back optimal pour le magazine danois Zetland
Une idée ingénieuse pour se réapproprier un contenu de qualité et surfer sur l'engouement pour l'audio, à l'image de cette initiative concluante du journal danois Zetland. Face à l'intérêt des lecteurs pour les contenus audio, le média aux 15 000 abonnés met en ligne son premier article audio à l'automne 2016. En 2017, tous les journalistes de la rédaction prennent le micro pour lire leurs papiers publiés. Aujourd'hui, les abonnés ont accès quotidiennement sur l'application à une playlist dédiée. Pour le fondateur du journal, Hakon Mosbech, l'expérience est plus que concluante : « Lorsque les internautes commencent à nous utiliser par le biais de l'audio, cet usage devient plus stable et conséquent ». Les chiffres l'attestent. « Le taux moyen de complétion pour un article audio est de 90 %. C'est mieux que les histoires écrites », explique Hakon Mosbech à Story Jungle. Soit « un taux enviable pour quiconque, dans une salle de rédaction, qui a observé sur Chartbeat que les utilisateurs abandonnent la lecture de reportages au bout de quelques paragraphes ». En 2019, le journal a réalisé un bénéfice pour la première fois depuis sa création en 2012. « L'audio a été crucial pour nous en termes de rétention », nous relate Hakon Mosbech.Avec la promesse d'un engagement des utilisateurs, le format fait de l'œil à de nombreux médias. En France, depuis le 16 janvier 2020, L'Express propose à ses abonnés d'écouter l'intégralité du magazine (soit l'équivalent de cinq heures de lecture) la veille de sa parution en kiosque le jeudi. Pour ce faire, le magazine a engagé quatre comédiens spécialistes du doublage. Selon le directeur général du journal, Clément Delpirou, l'initiative est née afin de « toucher un public plus jeune et plus large que celui des news magazines ». Les auditeurs pourront tendre l'oreille pour entendre une information qu'ils « ne trouvent pas ailleurs, qu'ils n'ont pas entendue sur les chaînes d'info ou à la radio, qu'ils n'ont pas lue dans des quotidiens. Une information exclusive de très grande qualité, et qu'on accepte de payer avec conviction », commente Alain Weill, propriétaire et directeur général de l'Express, Le Monde diplomatique, lui, propose dans la même logique une sélection d'articles à écouter.
Des partenariats avec des applis pour une audience plus large
Si certains médias optent pour « une cuisine personnelle » de leurs contenus, d'autres préfèrent nouer des partenariats avec des applications dédiées telles que Curio (Royaume-Uni), Noa (Dublin) ou encore Audm (États-Unis) dans l'optique de s'ouvrir à de nouvelles audiences. Ces applications font appel à des professionnels pour transformer les articles de texte en articles audio, qu'elles offrent ensuite dans un flux aux abonnés. En échange des articles publiés sur les applications, les éditeurs reçoivent une partie du profit et la possibilité de joindre l'audio au texte original.«Noa permet aux éditeurs d'avoir accès à une base d'utilisateurs qui est à 65% âgée de 35 ans ou plus jeune encore. C'est une proposition attrayante»
Ces trois applications présentent une croissance régulière, depuis leur lancement. En moyenne, Curio – qui collabore entre autres avec The Economist, The Financial Times, The Guardian, Bloomberg – a connu une croissance de 30 % par mois en termes d'utilisateurs et de revenus depuis son lancement en 2017, d'après son fondateur Govind Balakrishnan, ancien directeur de la stratégie de la BBC. Christian Brink, cofondateur d'Audm, décrit, lui, la croissance de l'application, vieille de 4 ans, comme constante « depuis le premier jour ». Quant à Gareth Hickey, le PDG de Noa, il affirme que le taux moyen de complétion des articles de son application est de 78%. En plus de séduire un public engagé, « Noa permet aux éditeurs d'avoir accès à une base d'utilisateurs qui est à 65% âgée de 35 ans ou plus jeune encore. C'est une proposition attrayante.»Pour le Harvard Business Review, associé à Noa (News Over Audio) il s'agit de combiner plusieurs approches. « Au début, nous avons ajoutés les articles audio sur notre site web de manière ponctuelle. A peu près au même moment, ils ont commencé à apparaître dans l'application NOA. Aujourd'hui, nous sommes sur le point de les lancer en tant que flux dans notre application », nous détaille Jim Bodor. « L'utilisation varie dans chacune de ces situations, mais dans l'ensemble, les articles audio sont très bien accueillies. Nos meilleures histoires audio ont un taux moyen de complétion de 90 % ».
Les articles audio offrent un exemple de complémentarité des médias, qui jonglent entre l'écrit et l'oral avec dextérité. En s'adaptant aux usages d'un public friand de formats audio, les médias s'offrent une nouvelle jeunesse. Une leçon qui doit aussi servir aux marques, qui observent et tirent des enseignements de l'expérience des médias. « Rien ne se perd, rien ne se crée. Tout se transforme. »