Marché de la communication, agences : l'état des lieux
Publié le 15 octobre 2021
Bertille Toledano
Présidente de BETC et coprésidente de l'AACC
« La filière communication est dans une situation de paupérisation », déclarait Bertille Toledano, présidente de BETC et coprésidente de l'AACC*, aux dernières rencontres de l'UDECAM.
Au menu du live :
- Marché de la com : comment ça va ?
- Comment la valeur des talents en agence doit être défendu ?
- Après les Etats Généraux, comment dessine-t-on une relance responsable et durable dans le secteur de la communication ?
présidente de BETC
*Association des Agences Conseils en Communication
Quelle est la situation du marché de la communication en général ?
En 2019, la filière communication représente 1,36 point du PIB, 33 milliards d'euros et 231 000 emplois. Il faut y ajouter ce qui est induit par la filière : 0,8 point de PIB en plus et 19 milliards. Le marché représente
in fine plus de deux points de PIB et environ 400 000 personnes. C'est conséquent. Mais par rapport à nos voisins, ce n'est pas si gros. La dépense publicitaire en France correspond à 0,2 dollar par habitant. En Allemagne, 0,25, au Royaume-Uni, 0,43 et aux États-Unis, 0,59. Nous investissons moins que l'Angleterre et l'Allemagne qui ne sont pas des rêveurs, économiquement parlant. Parallèlement à cet état de fait, les chiffres sont assez clairs : 1 euro investi en publicité rapporte 7,9 euros de PIB. Il s'agit d'une machine de relance puissante et sous-investie par rapport au reste.
La baisse a été très violente en 2020 pendant la pandémie. Il y a eu une reprise des investissements. Fin juillet 2021, elle est à 21,2 %
versus juillet 2020. Si vous faites le cumulé sur douze mois, la baisse du chiffre d'affaires est à -5,9 %. La croissance cumulée de la filière service est de +1,3 %. Eux se sont rattrapés.
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Dans la Jungle des contenu :
S’inscrire Comment les investissements se déplacent-ils ?
La croissance sur le digital est présente. Elle doit représenter 60 % des investissements. Il y a un déplacement évident vers le digital, en social media. La télévision et la radio s'en sortent. La presse magazine souffre encore un peu.
Dans cet état des lieux du marché, vous dites que s'il y a certes une reprise du travail dans les agences, il n'y a pas reprise du paiement...
La croissance en volume n'est pas la croissance en valeur. Le résultat net des entreprises de la filière communication représente 3,4 % du chiffre d'affaires. La moyenne des résultats nets des entreprises de service en France est de 6,2 % du chiffre d'affaires. Nous en sommes donc à la moitié du résultat net des entreprises de service en France. Aujourd'hui, la réalité est la suivante : négociations incessantes des services achats, négociations à la baisse, nombre exponentiel d'assets délivrés par les agences de communication. Lorsque j'ai commencé ce métier, je remettais en moyenne 6 ou 7 assets – un film, trois visuels, un message radio. Aujourd'hui, la plupart des campagnes vont demander 70 assets. La progression en valeur n'est pas équivalente à la progression en volume. On fait face à beaucoup de travail, avec un dumping sur les prix dû au digital. On a ajouté du travail sans revoir proportionnellement la rémunération.
Nous avons aujourd'hui un indice des prix en valeur qui n'est pas assez cher. Nous perdons en valeur. La rémunération ne couvre pas réellement le travail effectué.
À qui la faute ? D'où vient le problème ?
Nous sommes sur un marché ultra compétitif. Nous sommes en compétition avec toutes les agences, les Google et Facebook, avec tous ceux qui peuvent produire du contenu. Par ailleurs, l'entrée des négociations avec les services achats dans toutes les agences a changé la donne. Pendant des années, nous avons été solidaires lorsque les entreprises allaient mal. La seule question que je pose maintenant : sera-t-on solidaire dans la croissance ? La solidarité doit fonctionner dans la réciprocité. Le projet d'une entreprise ne peut pas être de gagner de moins en moins bien sa vie. Mon vrai problème est le suivant : comment vais-je payer mes talents ? Aujourd'hui, de moins en moins de jeunes se dirigent vers la publicité.
À qui adressez-vous ce message ?
Je m'adresse aux annonceurs, à l'ensemble de la filière pour qu'on fasse tous attention à la compétition sur les prix. Cette compétition détruit la valeur, tout comme les appels d'offres incessants. Quand je suis arrivée à la présidence de l'AACC – à la suite du Metoo de la pub –, nous avons réalisé une étude sur la place du harcèlement dans le milieu de la publicité. Il a été révélé que la place du harcèlement sexuel est moindre que celle du harcèlement moral. Le problème des gens qui travaillent dans la pub, c'est le burn-out. Ce métier devient darwinien : marche ou crève. C'est lié à une pression qui est exercée par les clients sur les agences. Depuis ces dernières années, les services marketing ont été compressés. J'ai vu des entreprises comme Air France où il y avait de moins en moins de gens autour de nous. On a servi de support à des équipes plus restreintes.
Vous dites que l'un des problèmes auxquels les agences sont confrontées est le départ des talents vers les GAFA, les startup, le consulting, où ils sont mieux payés.
Plus de la moitié de ceux qui partent ne vont plus en agence. Ils se dirigent vers TikTok, Brut, tous les médias sociaux où ils sont mieux payés que chez nous, pour les cabinets de consulting. Des planneurs peuvent augmenter de moitié leur salaire en basculant du côté du conseil. Ce qui est en péril est notre capacité à attirer des talents compétents, formés, attractifs. On sert finalement de formation à des gens qui partent chez d'autres pour valoriser leur apprentissage.
Le constat est très clair. Que faire pour y remédier ?
Augmenter la rémunération. Mon projet principal pour l'AACC est de faire de nos métiers une force de progrès. La valeur des talents fait partie de ce que j'estime être une force de projet, pour le développement durable de notre société. Nous allons essayer d'être les instruments d'une relance qui ait plus de sens. La communication est un formidable outil d'accélération de la transition écologique.
Vous avez plaidé pour que tous les appels d'offres soient rémunérés...
Oui, et la plupart des annonceurs sont d'accord. Le modèle du travail gratuit s'appelle l'esclavage. Il n'y a pas de raison que l'on fasse travailler six agences gratuitement pendant trois semaines et qu'en plus, elles cèdent la propriété intellectuelle de ce qu'elles ont créé pendant ces trois semaines. Il n'y a plus de limites.