« Privilégier une approche servicielle des contenus au service d’une stratégie de vie »
Daniel Bô dirige l'institut d'études marketing généraliste QualiQuanti depuis 1990 et Brand Content Institute depuis 2016. Ancien publicitaire, ce diplômé d'HEC et de SciencesCom Audencia est un expert renommé du brand content, s'intéressant à la recherche, aux médias et à la communication des marques. Il vient de publier Brand Culture, qui sort le 10 avril 2019 chez Dunod. Il développe avec nous sa vision du brand content. Entretien.
Avec la nouvelle édition de votre ouvrage Brand Content Stratégique 2019 : Le contenu comme levier de création de valeur, quelle vision du brand content défendez-vous ?
Cette vision a évolué. Lorsque j'ai co-écrit Brand Content, Comment les marques se transforment en médias chez Dunod en 2009, le brand content se présentait surtout sous forme d'opérations isolées : un film, un court-métrage, un blog, un magazine. Aujourd'hui, ce qui me semble important, c'est le fait de développer une bibliothèque de contenus, un écosystème éditorial cohérent, inscrit dans la durée, organisé autour de piliers thématiques en lien avec la brand culture. C'est ce que nous appelons « brand content stratégique » avec Pascal Somarriba.Un autre enjeu consiste à privilégier une approche servicielle des contenus au service d'une stratégie de vie. C'est-à-dire la capacité qu'aura le lecteur de mettre en œuvre dans sa vie le contenu qu'il aura consulté. Il s'agit de la fonction perlocutoire du langage selon John Austin. Le contenu est vu comme une interface pour nourrir un comportement avec l'objectif d'agir sur soi et sur le monde. Quand on interroge les utilisateurs sur ce qu'ils attendent des marques, la majorité souhaite qu'elles les aident dans leur vie.
Par ailleurs, le brand content artistique présente également du potentiel. Je pense au défilé Dior où la chorégraphe israélienne Sharon Eyal a été invitée à créer une performance entre danseurs et mannequins. Le show a procuré une émotion incroyable. Cela s'inscrit dans une tendance fondamentale qui est celle de l'esthétisation du monde, le fait qu'on est tous à la recherche d'émotions.
Au-delà de la dimension servicielle et artistique, est-il du rôle de la marque de s'engager ?
La société attend des marques qu'elles soient des acteurs engagés avec une responsabilité. Il faut que le contenu soit sincère et réalisé avec une forte implication. Si on n'est pas passionné, on ne peut pas être passionnant. Comme la marque Patagonia, qui diffuse un propos militant avec des documentaires incroyables – Blue Heart, sur les dangers auxquels sont exposées les dernières rivières vierges d'Europe.Quelles sont les principales tendances de la réalité virtuelle que vous percevez en brand content ?
À l'heure de la réalité virtuelle et des interfaces digitales, l'espace d'expression des marques s'élargit. Les tournages 360° en réalité virtuelle se multiplient. Lieux virtuels, réels, augmentés, éphémères. Le champ des possibles est immense. En 2017, avec Experience The High, les parfums Diesel concrétisaient plus que jamais la promesse de la marque : « Only the Brave » Autour de la notion de « bravery », le dépassement de soi, la marque proposait un parcours d'obstacles sur les toits de Manhattan, à 350 mètres du sol. Les nouvelles technologies obligent à repenser les formats, les canaux et les usages. Nous nous dirigeons vers le développement d'expériences personnalisables, à l'instar de Snapchat ou musical.ly, où l'utilisateur remodèle le contenu.
Quel est votre mantra ?
"Creative Intelligence" ou "Ethnographic Imagination" de Paul Willis car les études et la recherche sont une activité extrêmement créativeQuel est votre gourou ?
Raphaël Lellouche, agrégé de philosophie et ancien élève de Barthes, avec qui j'ai la chance de travailler depuis 1990Comment libérez-vous vos chakras ?
Avec Harumi Salemi, professeur de danse classique, qui connait si bien le fonctionnement du corps et le rôle de la conscience corporelleComment peut-on aujourd'hui évaluer la performance d'un contenu de marque ? Quels sont les indicateurs fiables ?
Son évaluation passe par une série d'indicateurs clés de la performance mais aussi par une certaine ouverture d'esprit. Parmi les critères, je parlerai d'UX éditorial, c'est à dire du contenu facile d'accès, pensé pour l'utilisateur. Les critères diffèrent selon la nature des contenus : une fiche produit a vocation à aider le lecteur à se mettre en situation de l'utiliser et à donner envie de s'y mettre ; d'autres contenus vont donner une profondeur culturelle. La réemployabilité du contenu dans le temps est un bon critère pour savoir si on a du contenu de valeur. Les consommateurs attendent aussi des contenus qui soient fiables, innovants, qui s'appuient sur l'expertise de la marque, qui facilitent la vie, qui soient diffusés au bon moment.Selon vous, quelles sont les clés d'une stratégie éditoriale réussie ?
Parmi les traits caractéristiques d'une stratégie efficace, il existe quelques règles à avoir en tête. Il faut sélectionner des piliers éditoriaux avec une approche enthousiasmante, créer un univers éditorial propre qui démultiplie l'efficacité de chaque contenu, assurer la visibilité via les canaux et ambassadeurs (commerciaux, clients, influenceurs), établir un lien subtil avec la marque (le contenu explicite la brand culture) et enfin développer une bibliothèque de contenus, source de développement commercial et de diversification. Il y a aujourd'hui trop de contenus, mal exploités et peu créatifs. Les experts américains pensent que ceux qui ne parviendront pas à produire de la qualité seront écartés : soit la marque arrive à se placer comme productrice de bon contenu, soit elle est marginalisée.Comment aujourd'hui les marques prennent-elles la parole et investissent le champ des médias ? Pensez-vous qu'elles sont légitimes à « entrer dans les domaines de transmission d'informations jusqu'ici réservés aux médias journalistiques » ?
Trop souvent, les marques sont complexées par rapport aux médias traditionnels. Véritables médias qui s'ignorent, elles ont pourtant de multiples points forts à mettre en avant. Selon Joe Pulizzi, « The media companies do not have the money, ressources and flexibility that brands have ». Premier avantage, les marques ont la capacité de mobiliser de très gros moyens pour produire des contenus concentrés, à l'instar de ce qu'elles font déjà pour la publicité. Ce contenu peut être diffusé mondialement si la marque est internationale. Rares sont les médias qui disposent d'une puissance internationale. Les marques sont assises sur un trésor, leur domaine d'expertise : L'Oréal et la beauté, Saint-Gobain et l'habitat, Atlantic et le confort thermique, etc. Cette intelligence est une matière première formidable pour développer du contenu. Même les médias spécialisés ne disposent pas d'un tel savoir-faire. Les médias sont contraints de produire ou d'amalgamer des quantités importantes de contenus pour remplir leurs grilles ou leurs colonnes. Cette boulimie se joue souvent au détriment de la cohérence, voire de la qualité de ce qui est produit. La marque, au contraire, peut se concentrer sur un contenu plus faible en volume qu'elle a tout le loisir « d'événementialiser » et de sublimer, de soigner dans ses moindres détails, et d'intégrer sur tous ses points de contact.Les médias sont soumis à la récurrence et au formatage (calage, ton, forme). Les marques, elles, ont une grande liberté créative. Les premiers Colors de Benetton réinventaient le magazine à chaque numéro. L'unique formatage auquel la marque est tenue, c'est la cohérence avec ses valeurs et son identité. Pour se démarquer du flux des médias classiques, le contenu se doit d'être original. Les médias n'ont pas de canaux de distribution matériels pour toucher physiquement leurs consommateurs. Comparativement, les marques disposent de points de contact diversifiés incluant les produits eux-mêmes, les packagings, les points de vente exclusifs ou multimarques, la publicité : autant de moyens de faire vivre au consommateur une expérience plurisensorielle. La possession en propre de réseaux de distribution physiques favorise des économies logistiques importantes pour la diffusion d'objets éditoriaux (livres, magazines, disques, etc.). En expédiant Colors dans les containers utilisés pour les vêtements, Benetton profitait de sa logistique mondiale. Les magasins étaient des vitrines idéales pour ce contenu pré-acheté par les franchisés.