« J’aime parler de l’imperfection comme d’une vertu »
Publié le 27 mars 2021
Ugo Ceria
Head of Creative Shop France - Facebook et Instagram
Il dirige le Creative Shop d'Instagram et Facebook en France, véritable laboratoire en charge de tester les nouvelles approches de contenus. Ugo Ceria évoque avec nous la notion d'innovation et la nécessité d'explorer, les possibilités créatives des marques et les nouveaux usages des consommateurs. Interview.
Vous êtes le Head of Creative Shop d'Instagram et Facebook en France, c'est-à-dire la structure qui réfléchit à la manière d'être innovant sur les contenus...
Ugo Ceria : J'aime bien souligner que nous sommes une petite équipe. Ce qui nous intéresse est la croissance créative de nos plateformes, ce qui est encore à explorer. Le fil rouge de nos échanges est l'idée d'exploration : chercher ce que l'on peut faire de nouveau, par le biais des nouvelles technologies ou en s'intéressant aux nouveaux usages. C'est sur ça que travaille le Creative Shop avec les agences créatives. On s'ajoute soit à leurs équipes soit à celles des marques.
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Dans la Jungle des contenu :
S’inscrire Instagram est un mélange de plusieurs fonctions : du feed, des stories, des IGTV, de Reels, le petit dernier. Est-ce qu'il faut avoir une stratégie différente sur chacun de ses leviers ? Comment aborder un univers aussi riche du point de vue fonctionnel ?
Et en expansion ! Le fait d'avoir plusieurs éléments sur lesquels s'appuyer est positif, constructif. On sait l'importance prise par les stories : la navigation verticale du fil d'actualité se mélange et parfois cède même du terrain aux stories, éphémères, avec leurs 24 h de partage. Rajoutons à cela les lives – et les lives Rooms jusqu'à quatre personnes. Il y a aussi des technologies disponibles sur la plateforme, comme la réalité augmentée. Chaque marque, à partir de sa stratégie, va trouver sa façon de fonctionner, d'exister sur Instagram et de se connecter avec les individus. Est-ce que je suis une marque très génération Z, et je veux vraiment me concentrer sur Reels, et bénéficier de la force du partage avec le hashtag ? Cette stratégie est très claire et n'aura pas le fil d'actualité comme pilier. Ou bien est-ce que je suis une marque qui veut vraiment croître à coup de stories, avec un côté quotidien et tout un écosystème d'influenceurs et de créateurs qui vont nourrir le travail publicitaire ? Ou bien encore est-ce que de façon plus institutionnelle, je veux avoir une communication avec ma communauté via le fil d'actualité, qui sera un peu plus soigné ? Les réponses peuvent être différentes : c'est là la magie de travailler sur la richesse de ces écosystèmes.
Trois leviers d'innovation existent dans l'univers d'Instagram pour les marques : s'emparer des fonctionnalités qui sortent, utiliser les usages que la communauté découvre et l'aspect commerce, assez fort sur Instagram. Si on regarde le premier levier, comment les marques s'emparent par exemple de Reels ?
La technologie est là. Elle nous est offerte comme une possibilité. Encore faut-il voir comment cette technologie va nous permettre de créer et innover. On peut compter sur l'effet surprise : on est parfois émerveillés face à la découverte de l'innovation, poussée par les individus. La philosophie de Facebook et d'Instagram est celle de s'adapter, de grandir, de se laisser inspirer par ce que les individus demandent. Il y a une pression positive créée par les usages. On suit le chemin tracé par les individus. Il est naturel que nos formats vivent d'abord en organique, entre les mains des individus. Il y a cette phase d'émerveillement dans laquelle on laisse les individus s'exprimer. C'est seulement dans un deuxième temps qu'il va devenir un format publicitaire – comme avec les stories. C'est sain et bien trouvé.
Sur Reels, on est dans la première phase. Ce qui ne veut pas dire que les marques ne peuvent pas utiliser Reels. À l'inverse, les marques sont déjà en train de le faire. Il y aura sûrement une phase publicitaire qui va arriver plus tard, qui sera un peu plus encadrée et qui permettra d'investir sur Reels.
Est-ce qu'être plus créatif signifie des contenus un peu moins peignés ?
J'aime parler de l'imperfection comme d'une vertu. Instagram est né dans une philosophie très curated, très millenial : je publie mon post, j'utilise mes filtres, je m'assure toujours que ce soit une œuvre d'art. Cette culture Instagram – faire de sa vie une véritable galerie d'art – existe toujours. C'est très ancré. Mais les stories ont libéré quelque chose d'autre, plus éphémère, plus quotidien, plus créatif – les stickers, les filtres. Autant d'outils où chacun peut construire sa narration, devenir éditeur de son contenu. Sur Reels, on passe à la vitesse supérieure. Je crois qu'on assiste à un changement générationnel. La génération Z fait l'éloge de l'imperfection : ils veulent faire des choses, et tant pis si c'est imparfait. C'est constructif : explorer ensemble. Il y a une innovation sociale qui se tourne vers la beauté de l'imparfait.
La crise a accéléré les changements. Beaucoup de choses qui étaient en train de se passer se sont accélérées. On a besoin plus que jamais de contact. Un nombre important d'influenceurs ont utilisé Instagram Live, dont la principale force réside dans les dialogues, dans les jeux à deux ou à quatre.
Est-ce que Room est un début de réponse à Clubhouse ?
Ce que je peux dire, c'est que l'évolution et l'innovation restent au cœur de l'entreprise. Notre souci est de comprendre ce qui va être utile. On assiste à une évolution de l'individu vers le groupe, qui nous réunit. Il y a clairement une tendance vers l'audio. Est-ce que c'est un contrepoids à la fatigue de l'écran ? Peut-être. Il est sûr que l'interface de l'écran n'est pas idéale. De notre côté, on travaille sur la réalité virtuelle. On sait qu'on veut se débarrasser de ses écrans pour pouvoir accéder à une réalité augmentée. Ça tient encore du rêve, mais ça devient de plus en plus concret. L'audio est certainement une alternative intéressante. Clubhouse est un phénomène bienvenu parce qu'il nous aide à comprendre comment l'individu évolue. J'ai confiance en la flexibilité de nos plateformes. On a tous vu des formats et des évolutions naître et disparaître sur nos plateformes, tout simplement parce que les individus nous envoient des messages disant qu'ils n'y trouvent pas d'intérêt.
Quelles sont les tendances particulières que vous avez pu observer, qui étaient très inspirantes ?
Celle qui me tient le plus à cœur est celle de la diversité et de l'inclusion. Nous savons que trop de voix ne sont pas suffisamment entendues. Le débat social autour de la diversité est heureusement vraiment central. Nos plateformes donnent cette possibilité d'expression, de présence et de partage. Un travail que fait le Creative Shop, c'est d'aller au-delà de ce qui peut être la convention, le cliché, de tout ce qui est un peu conventionnel. Je pense à Sephora qui a lancé son parfum Do not drink, avec des génies créatifs de la plateforme, avec des profils diversifiés. Il ne s'agit plus de chercher des influenceurs à la communauté forte, mais de vrais créateurs. On cherche un créateur avec du charisme, et non plus avec de l'influence.
On a des véritables artistes Instagram ; ce sont eux qui nous font découvrir l'innovation esthétique mais aussi technique de la plateforme. Les marques peuvent apprendre d'eux.
Comment une marque peut-elle avoir du charisme sur Instagram ?
Quand je parle de charisme et de pouvoir, je parle de capacité d'attraction. C'est vraiment la capacité d'attirer vers soi. Ce n'est pas s'imposer. La génération Z demande des marques attrayantes et non pas des marques envahissantes. Il faut être relevant. C'est ce que l'on appelle « people first », les individus d'abord ; moi – marque –, je ne vais pas imposer mon discours, je ne vais pas demander à tout le monde de me suivre sur ce positionnement, ce que je vais faire, c'est être à l'écoute des passions, des intérêts, de ce que les individus demandent. M'adapter à cela et construire un discours en fonction.
Il va falloir savoir faire le voyage : comment balancer entre le monde perfectionniste du feed et le monde un peu plus chaotique de ce qui peut être la communication éphémère, sur Reels ? On demande aux marques cette flexibilité. Le secret du charisme, c'est de savoir écouter. Et savoir donner des choses qui viennent de cette capacité de comprendre les attentes.
Comment on casse cette routine très élégante établie par Instagram ?
Il ne faut pas la casser, mais il faut évoluer. Cela fait partie de notre mission. Il faut aider les marques à se lâcher et à accueillir des usages plus dynamiques. On vient d'une culture publicitaire assez figée, perfectionniste – on était dans la culture du cinéma adapté ensuite à des formats très courts et en télé, on vient de ce 16/9. Ce que l'on découvre avec Instagram est la naissance d'un nouveau langage, et cela requiert une certaine flexibilité.