Les réseaux sociaux oubliés : Vine
Avant TikTok, Instagram, Twitch et compagnie, il y avait Myspace, Skyblog, MSN et d'autres réseaux sociaux aujourd'hui passés aux oubliettes. Story Jungle vous propose un retour en arrière.
Vine : késako ?
Début 2012, Dom Hofmann et Rus Yusupov créent Vine, une application de microvidéos sur mobile, très simple d'utilisation. Le service est rapidement dans le viseur de Twitter, qui y décèle une arme potentielle pour contrer la puissance d'Instagram, propriété de Facebook. Le réseau à l'oiseau bleu y voit également un frère jumeau version vidéo, « un analogue presque parfait aux messages courts de son application phare », pour reprendre les termes de The Verge.En octobre 2012, le deal est signé. Vine est rachetée par Jack Dorsey, PDG de Twitter, pour la somme de 30 millions de dollars. Selon la journaliste tech Lucie Ronfaut, le réseau social devient pendant trois ans « la plateforme de référence pour de nombreux jeunes internautes, et l'application la plus drôle du Web. Son format original a permis le développement d'une culture à part ». Pour le New York Times, Vine a changé « Internet à jamais », en servant de « modèle à une nouvelle génération d'applications vidéo de courte durée ».
Elle a donné naissance à quelques stars, dont le chanteur Shawn Mendes. Vine a également trouvé son public chez les fans de sports, qui l'ont utilisée pour rejouer les moments les plus mémorables d'événements sportifs – les matchs de basket-ball remportant la palme des vidéos les plus populaires. Dans un autre registre, Vine a été un moyen efficace pour rendre visible des causes peu médiatisées – DeRay McKesson, un militant des droits civiques, a souligné que le réseau a permis aux manifestants de Ferguson de diffuser leurs actions dans les mois suivant la mort par balle de Michael Brown, un adolescent noir de 18 ans non armé, par un policier blanc.
En route pour la gloire
Rapidement après sa création, le réseau social s'impose : en 2013, Vine est l'application gratuite la plus téléchargée de l'App Store. Le format de six secondes encourage la créativité. « C'est devenu assez clair dès le lancement, a expliqué l'un des fondateurs, Dom Hofmann. Regarder la communauté et l'outil se stimuler l'un l'autre était excitant et irréel. Il était évident que la culture de Vine allait évoluer vers la créativité et l'expérimentation. » Des Viners émergent alors – à l'image des TikTokers d'aujourd'hui – et attirent des millions d'abonnés. Il y a eu Zach King, dont les tours de magie lui ont valu 4 millions de followers et plus de 1,4 milliard de vues. Ou encore Amanda Cerny, dont les vidéos humoristiques ont explosé, avec plus de 2,2 milliards de vues. Le comédien et vidéaste Logan Paul a su rentabiliser le succès de ses vidéos Vine : pour créer un seul Vine pour une marque, le Viner a pu gagner 200 000 dollars, selon un reportage de 60 Minutes.En 2016, les chiffres témoignent du succès de la plateforme américaine : plus de 100 millions d'utilisateurs regardaient des loops chaque mois, ces derniers cumulant 1,5 milliard de vues mensuelles. Selon Sébastien Frit (alias Seb la Frite, fort de 250 000 abonnés en 2016), Vine restera assurément gravé dans la grande collection des meilleurs moments du Web.
La chute
Si Vine s'est rapidement imposée parmi les autres applications vidéo sociales, elle n'a pas réussi à suivre le rythme des ajouts de fonctionnalités de ses concurrents ni su développer une économie de la création suffisamment intéressante, ce qui a fini par provoquer la fuite de ses plus grandes stars. Trois ans après sa création, Vine lutte pour survivre. Les spécialistes du marketing et les acheteurs de publicité qui payaient les créateurs pour réaliser des Vine « sponsorisés » se détournent de l'application et orientent leurs investissements vers des concurrents comme Snapchat, Facebook et Instagram. Faute d'un modèle publicitaire durable, les créateurs de vidéos, frustrés par Vine, préfèrent à leur tour prendre le large vers des plateformes plus lucratives.Pendant ce temps, Facebook et Instagram, propriété de Facebook, consacrent leurs ressources à la vidéo, et Snapchat a commencé à attirer le jeune public de Vine. « La vidéo Instagram a été le début de la fin, témoigne un ancien cadre de Vine (The Verge), Vine n'a pas évolué assez vite pour se différencier. » Rappelons qu'Instagram a introduit des clips vidéo de 15 secondes dès juin 2013. La limite de six secondes, désormais dépassée, ne disparaît qu'en juin 2016.
Seul développement pour faciliter les relations entre les créateurs et les annonceurs : le rachat de Niche, une société mettant en relation créateurs et annonceurs, en avril 2015. Mais là encore, c'est un échec. DeStorm Power, Viner devenu vidéaste sur YouTube, explique qu'« ils ont été arrogants, impossibles à joindre ». Même lors d'une vague de protestation en automne 2015, lors de laquelle plusieurs Viners réclament une rémunération et des changements drastiques, la direction ne réagit pas.
En parallèle, Vine s'apparente plus à un boulet traîné par Twitter : l'entreprise lui coûte 10 millions de dollars par mois. 350 emplois sont finalement supprimés. Et Vine devient Vine Camera, un outil de création de mini-clips. Finalement, l'outil disparaît également et les archives sont inaccessibles depuis 2019 (hormis si vous possédez l'URL menant à votre compte).
Byte, une renaissance tournée vers l'économie de la création ?
En 2018, Dom Hofmann crée Byte. Digne successeur de Vine, il propose plusieurs fonctionnalités déjà disponibles à l'époque, dont des outils pour monter et modifier des vidéos. S'il ne propose aucun filtre, sticker ou emoji, a contrario de TikTok, un programme de rémunération des créateurs est développé en bêta dès ses débuts.Sa sortie attire foule d'utilisateurs : l'application est téléchargée 800 000 fois, dont 75 % proviennent d'outre-Atlantique, lors du premier week-end. Via le compte Twitter de Byte, Dom Hofmann a expliqué qu'ils « remettent en place le principe des loops vidéo de six secondes et cela permettra de recréer une communauté pour les gens qui apprécient ce format. Cela s'appelle Byte, un concept à la fois familier et nouveau. Nous espérons que cela trouvera un écho auprès des personnes qui pensent que quelque chose manque dans le paysage actuel. »
Le nouveau Vine a appris de ses erreurs ayant conduit à la fermeture de l'application en 2016 et souhaite verser 100 % des revenus publicitaires à ses créateurs. Cette monétisation est un pari : Byte vise à reconquérir tous ses ex-Viners qui avaient abandonné le réseau. Ce « Partner Program » était loin d'être parfait, ce que la direction s'est empressée de préciser : « Nos partenariats et programmes publicitaires en sont à leurs balbutiements. Afin de mettre en place ces programmes correctement, en optimisant la santé à long terme de l'application et de notre communauté, le nombre d'adhésions et le montant des paiements seront modestes, puis augmenteront avec le temps. »
Mais Byte a eu du mal à s'imposer et la société est rachetée par Clash en janvier dernier. La nouvelle application proposée est un mix des deux précédentes et entend s'éloigner de son concurrent principal, TikTok : « Très souvent, les créateurs ont joué à ce jeu où ils doivent sacrifier leur contenu ou leur emploi du temps juste pour payer le loyer. Nous voulons changer la manière dont les créateurs monétisent leurs vidéos. » Des pourboires et paiements récurrents devraient être ajoutés. Pour les téléchargements, avant le rapprochement entre les deux sociétés, le montant total était de 5 millions. Rappelons qu'en 2020, TikTok est devenue l'application la plus téléchargée au monde, surpassant Facebook.