Conflit ukrainien : la valse des réseaux sociaux
À l'ère des réseaux sociaux, la guerre se passe aussi derrière nos écrans, entre un « mélange vertigineux d'horreur incompréhensible et de messages stupides », comme le mentionne le journaliste Ryan Broderick.
Alors comment l'actualité ukrainienne émerge-t-elle dans ce mélange disparate ? Comment les médias, les influenceurs et les utilisateurs lambda s'emparent-ils des réseaux sociaux pour évoquer le conflit ukrainien ?
Tour d'horizon des différents usages.
Sur TikTok, la guerre médiatique fait rage
Les utilisateurs ukrainiens, en première ligne. Selon les informations de The Wired, la plupart des vidéos les plus virales de TikTok sur l'Ukraine ont été partagées par Marta Vasyuta, une Ukrainienne de 20 ans vivant à Londres. La jeune femme a décidé de relayer sur son compte TikTok les contenus reçus sur Telegram (la messagerie cryptée est utilisée par des millions d'Ukrainiens pour obtenir les informations du gouvernement).« Si vous publiez une vidéo depuis l'Ukraine, il est probable que seuls les Ukrainiens ou les Russes la verront », explique-t-elle. « Cette bizarrerie est due à la manière dont TikTok localise souvent les vidéos qu'il présente sur sa page "Pour vous" », observe le média. L'une des vidéos de Marta Vasyuta – montrant une pluie de bombes sur Kiev – a ainsi été vue 44 millions de fois sur TikTok et partagée en dehors de l'appli près de 200 000 fois. Le partage de vidéo hors plateforme est depuis longtemps un outil déployé par la société ByteDance pour promouvoir TikTok.

Au-delà de la dimension d'information collective, les vidéos sur TikTok ont également un intérêt stratégique. D'après les informations de SocialMediaToday, les utilisateurs ukrainiens tirent profit de l'appli en communiquant la position des troupes russes aux combattants ukrainiens. Tandis que des groupes affiliés à la Russie utilisent la plateforme pour propager « une désinformation orchestrée ».
Côté anglo-saxon, Digiday observe que CBS News, The Washington Post et Vice News sont très actifs sur TikTok pour couvrir le conflit. Vice World News a ainsi gagné 1 million de nouveaux followers en un peu moins de deux semaines après avoir commencé à traiter le conflit. Sachant que l'algorithme de TikTok ne favorise pas « les breaking news », les médias se concentrent sur l'analyse du « deuxième jour, et les histoires humaines sur le terrain », commente Digiday. « Le fait d'être le premier média à publier une vidéo d'une attaque de missiles ou d'une famille tentant de fuir sa maison ne devrait pas avoir beaucoup d'importance dans l'algorithme », rappelle le média.

Instagram, l'essor des « pages de guerre »
Les opportunistes sont aussi présents sur Instagram. Les pages de mèmes se transforment en « pages de guerre ». Et malgré leurs affirmations, « ces comptes ne sont pas gérés par des journalistes sur le terrain », prévient le site InPut. « Sur Instagram, des comptes normalement dédiés au partage des mèmes populaires se sont transformés en usines à contenus sur le conflit, car c'est actuellement le moyen le plus rapide d'engranger les abonnements et les likes », contextualise Lucie Ronfaut.Ces pages rassemblent des images choquantes de champs de bataille et des vidéos violentes, postées avec peu ou pas de contexte. Les comptes de guerre tels que @waraholics, @military_footage et @war_strikes ont ainsi gagné un bon nombre de followers depuis le début de la crise ukrainienne. Certains monétisent ces followers en postant des publicités, souvent pour les créateurs d'OnlyFans.

La page @livefromukraine cumulait le 24 février plus de 3,7 millions de followers et a finalement été supprimée par la modération d'Instagram. Son auteur, un jeune Américain originaire du Kentucky, se faisait passer pour un journaliste ukrainien pour relayer de fausses informations. « J'essaie d'obtenir autant d'abonnés que possible en utilisant la plateforme et mes compétences, a-t-il déclaré. Je poste ce qui me semble vrai et les utilisateurs n'ont qu'à se faire leur propre opinion. » Principal problème ? Le succès de ces pages leur donne du crédit : « Les gens voient un compte comme celui-ci et imaginent que parce qu'il a des centaines de milliers d'abonnés, c'est un compte légitime », déclare Joan Donovan, directrice de recherche au Harvard Kennedy Shorenstein Center for Media.
LinkedIn, journalistes, politiques et marques s'expriment
La semaine dernière, nous évoquions les politiques et les journalistes qui se pressaient sur LinkedIn pour s'exprimer sur le conflit. Ainsi, Alfons Mais, le chef de l'armée allemande, déplorait que les options militaires que l'Allemagne serait en mesure de donner à l'OTAN soient « extrêmement limitées ». Aujourd'hui, ce sont les marques qui s'expriment. Le groupe de luxe Hermès, « très préoccupé par la situation actuelle en Europe », a décidé d'annoncer la fermeture temporaire de ses magasins en Russie sur la plateforme professionnelle.Par ailleurs, LinkedIn a lancé cette semaine une section « Les dernières nouvelles sur l'Ukraine ». Située en haut des notifications, cette section contient « des nouvelles et ressources sélectionnées par les journalistes de LinkedIn. »
