« La production de contenu en chaîne met en péril de manière grave l'intelligence collective. »
Ancienne journaliste, Julie Joly a pris la tête du CFJ en 2012.. En 2016, elle crée W, une école post-bac spécialisée dans les métiers du contenu numérique dont elle est directrice générale. Elle nous livre sa vision des évolutions des nouveaux usages et modes de production du contenu.
Quel premier bilan tirez-vous, près de deux ans après le lancement officiel de W ?
Julie Joly : Je suis impressionnée par la capacité d'apprentissage de nos étudiants et la vitesse avec laquelle ils ont progressé. En moins de deux ans, ils ont été capables de créer leur propre média, de participer à l'élaboration de contenus sur des sujets complexes et de s'exprimer à la fois par écrit et par oral. Leur profil intéresse, de fait, de nombreux médias, entreprises et agences de communication. C'est très motivant : cela prouve que nous sommes sur la bonne voie en matière de sélection et de formation. En France, réconcilier le fond et la forme est une gageure. La plupart des cerveaux analytiques ne sont pas formés pour être créatifs ; a contrario, les profils créatifs ont parfois du mal à prendre de la hauteur, du recul. W recrute des étudiants capables de faire les deux, ce qui induit de ne pas passer par un mode de recrutement trop scolaire. Ce que l'on cherche : des esprits avec un potentiel créatif, un regard sur le monde, une maturité, une capacité à avoir du recul sur eux-mêmes, sur leurs biais de jugement, et à sortir du cadre tout en le respectant. On a mis en place un processus de recrutement où le candidat doit avant tout se raconter ; il passe ensuite une épreuve de créativité, à effectuer chez lui, avec toutes les ressources possibles. Quand il présente sa production, c'est alors son choix, son regard, sa sélection, sa hiérarchie. » Les agences de communication ont pris une avance considérable en terme d’innovation et de créativité sur les médias, trop occupés à résoudre leur équation économique. «
A quels métiers les préparez-vous ?
J.J. : Tous les métiers qui associent le fond et la forme, et ils sont nombreux, sont des débouchés pour W : datajournaliste, storyteller, podcaster, webdesigner... Beaucoup de leurs futurs métiers s'inventent sous leurs yeux. La diversité des missions effectuées par nos étudiants en stage, dès la première année, le démontre bien. Ils ont intégré des médias, des services d'innovation, de stratégie, de marketing, ou encore des ONG, des organismes liés à l'éducation. Leurs compétences intéressent les recruteurs partout où un message doit être porté, au plus juste. Et où la forme compte autant que le fond.Vos élèves travailleront-ils différemment pour un média ou pour une marque ?

De nouveaux formats sont inventés tous les jours. Comment adaptez-vous vos cours ?
J.J. : Anticiper les évolutions à venir est un enjeu essentiel pour nous : la veille, la nôtre et celle de nos étudiants, est donc primordiale. Nous leur apprenons à manier les derniers outils et formats existants. Il ne s'agit pas seulement de guetter les prouesses informatiques et techniques, il faut aussi apprendre à écouter les experts capables de heurter nos neurones et de nous faire réfléchir autrement. Nous devons anticiper les usages afin de pouvoir travailler et innover ensemble. Chaque semaine, les étudiants de première année doivent ainsi repérer et publier, sur un site dédié spotit.fr, une innovation repérée, décrypter comment elle peut impacter leur travail dans un futur proche et l’expliquer en quelques lignes aux autres. On ne leur demande pas d'être des ingénieurs en intelligence artificielle, mais de comprendre ce que ces révolutions induisent. En outre, j'ai la conviction qu'une école se doit aujourd'hui d'être interdisciplinaire. Personne ne peut plus avancer seul. C'est pour cela que nous faisons travailler nos étudiants avec les élèves historiens de Normal Sup', les codeurs de l'Ecole 42, les futurs managers d'HEC. Tous ces étudiants et leurs enseignants sont des experts dans leurs domaines. Ils ont un savoir immense, passionnant, mais surtout indispensable pour produire des contenus intelligents. L'anticipation se nourrit aussi de ces échanges. Nous devons constamment nous demander comment demain, nous pourrons collaborer ensemble. Quels que soient les sujets, les formats, les outils.
Quel est votre gourou ?
Je n'en ai pas. Je me méfie des gourous en général. Mais je peux citer Simon Kavanagh, l'un des directeurs de l'école KaosPilot au Danemark, qui nous a accompagné depuis le tout début de l'école W. Un designer passionné par l'éducation.Quel est votre mantra ?
Connais toi toi-même.Comment libérez-vous vos chakras ?
Je lis beaucoup de romans, qui n'ont rien à voir avec ce que je fais, de la pure fiction. J'écoute des séries de podcasts dès que je le peux. Et je m'abreuve de sketchs assez cons et très drôles... Je suis estomaquée par les talents du standup, des one man show, des youtubers, tous ces auteurs qui arrivent à faire rire, à déclencher une émotion inouïe, en quelques secondes.Vos élèves sont-ils en passe de bouleverser les organisations?
J.J. : On se méprend sur les entreprises françaises, beaucoup sont prêtes au changement, avides d'informations, beaucoup plus que l'on ne croit. De nombreuses agences et médias ont créé des cellules de veille et la partagent, plus ou moins bien. Leur priorité est de la diffuser auprès de leurs équipes. Comment nos élèves s'intégreront-ils dans ces entreprises ? Pour l'expérience que j'en ai, avec le CFJ et les premières promotions W, les bons étudiants, polyvalents, curieux, n'auront aucun mal à trouver un emploi. Ceux qui n'ont pas compris l'urgence de décloisonner, de changer, et qui cherchent à reproduire l'existant en pensant plaire à leurs futurs recruteurs, ceux-là plairont peut-être à certains recruteurs, mais pas pour longtemps. Nous sommes là pour leur dire de ne pas écouter ce qu'ils pensent entendre : la reproduction des schémas traditionnels parfois implicitement réclamée par les recruteurs n'est pas ce dont ils ont besoin. Vous devez être force de créativité et de liberté de penser.Quel regard jetez-vous sur les médias traditionnels ?

Les plateformes, le duopole Google/Facebook, est-ce une chance, une opportunité, un défi, un problème ?
J.J. : On ne peut pas nier les faits, et faire comme si cela n'existait pas. Ces plateformes ont un impact considérable sur la distribution de contenu, la réception, la qualité, leur hiérarchisation. Cela influe sur la position du journaliste, du communicant... Où se situe-t-on, si tout ce que les gens publient est reçu au même niveau ? Ce duopole ouvre un paradoxe effrayant qu'il nous faudra bien dépasser : jamais l'accès au savoir n'a été aussi ouvert, et jamais les menaces d'aveuglement n'ont été aussi grandes. Ces plateformes changent aussi profondément notre manière de travailler. Et c'est encore plus vrai pour les plus jeunes. Comme les former quand ils pensent tout savoir ou tout trouver sur Google. Que fait-on de la mémoire, de l'échange physique, de la vérité ? W et le CFJ ne sont pas financés par les GAFA, mais les deux écoles sont membres du Google News Lab University Network. Chaque année, je rencontre des universités du monde entier qui travaillent sur les nouveaux médias, c'est très précieux ; nous échangeons sur les enjeux et les pratiques de nos formations. Il aura fallu que Google crée ce Google News Lab pour que tout le monde se parle. J'y vois l'opportunité d'échanger avec des entreprises, des écoles, des étudiants, très éloignés de notre microcosme. Cela nous a ouvert un champ de connaissance immense.Comment appréhendez-vous les nouvelles technologies, comme l'intelligence artificielle ?


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