« La communication surestime l’utilisation des réseaux sociaux par les consommateurs »
Selon la dernière étude de Kantar, le « Media Navigator Reputation », les professionnels de la communication surestiment l'évolution de la consommation des médias et l'importance des nouveaux canaux médiatiques. Nous avons échangé sur le sujet avec Christophe Dickès, Global Copyright Director de Kantar, et Sonia Metché, directrice des insights de Kantar.
Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?
Christophe Dickès : Il y a un décalage entre les usages des consommateurs et la perception des professionnels à l'égard de ces consommateurs. Les professionnels de la communication surestiment l'utilisation des réseaux sociaux par les consommateurs. Or, on assiste aujourd'hui à une méfiance vis-à-vis des réseaux sociaux. Les usages des consommateurs peuvent être considérés comme doubles. Dans un premier temps, les réseaux sociaux seront utilisés pour savoir ce qui se passe. Les médias traditionnels serviront ensuite à la vérification des faits. Une dichotomie se crée entre voir et vérifier. Le contrôle de l'information ne passe pas par les réseaux sociaux, mais par les médias traditionnels que sont la télévision, la presse online, la presse offline et les moteurs de recherche.«L'étude montre que, pour approfondir un sujet, les jeunes placent les réseaux sociaux derrière les médias traditionnels et les moteurs de recherche.»Sonia Metché : L'étude montre que, pour approfondir un sujet, les jeunes placent les réseaux sociaux derrière les médias traditionnels et les moteurs de recherche. Cela signifie que le contrat de lecture qui existe entre un média et son audience est valable aussi pour les jeunes. Il a été rendu explicite grâce aux gros efforts de décryptage de l'info fournis par les médias historiques, et aussi par le développement de formats plus accessibles pour eux, notamment par Le Monde, qui a une équipe Snapchat dédiée, et par France Info, aux succès d'audience historiques.
Christophe Dickès : Les professionnels de la communication ont plusieurs inquiétudes, dont celle de la confiance du public à l'égard du monde médiatique. Or, on a vu qu'avec la crise du Covid cette confiance avait atteint un seuil et était même remontée. Il y a une volonté d'accéder à une information professionnelle, bien éloignée du monde polarisé des réseaux sociaux et de celui des fake news en général.
Les sources d'information les plus utilisées par le grand public sont en tête la télévision (62 %), puis les réseaux sociaux et la presse (papier et online) au même niveau (36 %). Et enfin les radios (30 %). Pour les 16-34 ans, les réseaux sociaux arrivent en tête (51 %), suivis par les chaînes télé d'information (45 %), et la presse papier et online (26 %). Si les réseaux sociaux sont très importants pour les jeunes, il faut relativiser leur intérêt parce qu'ils n'y vérifient pas l'information.
Comment expliquer que les chaînes de télévision ont été régulièrement suivies alors que leur traitement de l'information était critiqué ?
Christophe Dickès : Nous étions dans un monde plongé dans l'inquiétude. On souhaitait vraiment savoir, s'informer auprès des chaînes d'info. L'exemple type est la première intervention de Macron, qui a été visionnée par des dizaines de millions de personnes. Du jamais-vu dans l'histoire de la télévision. Ce que l'on constate aussi - c'était net au moment du premier confinement -, c'est qu'un public a retrouvé une appétence pour l'écran, mais aussi pour la télévision, du fait du confinement. Des chaînes comme TF1, le groupe France Télévisions ont tiré leur épingle du jeu.Sonia Metché : Il y a eu des records historiques de durée d'écoute en 2020. Quatre heures par jour, selon Médiamétrie.
L'étude insiste sur le fort écart entre la réalité du public et la perception des communicants. Comment expliquer ce décalage ?
Sonia Metché : Je considère que les communicants maximisent l'impact des réseaux sociaux et des nouveaux formats, ce qui est tout à fait réel en termes de progression des usages. Ce décalage arrive en post-pandémie. Les communicants sont dans une dynamique logique pour eux. Ils sont influencés par les usages du jeune public et de l'avant-garde. C'est leur métier. D'un côté, il y a la perception professionnelle et, de l'autre, le grand public.Selon l'étude, les professionnels estiment que le public recourt désormais davantage aux influenceurs sociaux (52 %) et aux podcasts (43 %). Pourtant, respectivement seulement 7 % et 5 % de ce public affirment qu'ils les utilisent davantage. Les stratégies de communication donnent-elles trop d'importance aux influenceurs sociaux et aux podcasts ?
Sonia Metché : Tout dépend de l'objectif, de la nature de la marque. Aujourd'hui, toutes les stratégies optent pour du multicanal. Mais, effectivement, le décalage est assez frappant pour les podcasts. 43 % des professionnels européens pensent que les podcasts sont davantage utilisés. Or, seulement 5 % de ce public affirme qu'il s'y intéresse davantage. En 2020, seulement 16% des consommateurs français ont écouté des podcasts, ou encore seulement 9% des britanniques. Il y a eu un fort bruit médiatique autour des podcasts. C'est vrai qu'ils sont plus utilisés, mais pas dans les proportions imaginées. Quant aux influenceurs, il ne faut pas surestimer leur impact, d'autant qu'il est difficile à mesurer, sauf si l'influenceur est totalement transparent.Christophe Dickès : On peut se poser la question, bien que je pense qu'il est trop tôt pour avoir la réponse : est-ce qu'à terme cette génération des 16-34 ans va peu à peu prendre des distances avec les réseaux sociaux, soit du fait de la polarisation, soit du fait du peu d'intérêt que cela peut présenter pour certains.
Une étude sur ce phénomène devrait prendre en compte les différents types de secteurs économiques. Si on est dans le luxe, la beauté, ce n'est pas la même chose que si on est dans le monde du livre, de la culture.
«Aujourd'hui, on vit dans le monde de l'infobésité. 80 % du temps des professionnels de la com est consacré à classer, à détecter l'information. Seulement 20 % est dédié à l'analyse. »
Près de trois professionnels sur quatre (71 %) considèrent qu'il y a trop de données inutiles et pas suffisamment d'insights. Comment peut-on faire le tri entre toutes ces données ?
Christophe Dickès : Aujourd'hui, on vit dans le monde de l'infobésité. 80 % du temps des professionnels de la com est consacré à classer, à détecter l'information. Seulement 20 % est dédié à l'analyse. Ce rapport devrait être inversé. On devrait passer plus de temps à analyser l'information qu'à essayer de la trouver, de la chercher, de la contextualiser. Le travail de Kantar est de trouver l'info en fonction du client.Sonia Metché : 84 % des communicants en France estiment que l'accès à des données fiables est un facteur clé de succès. L'enjeu de la fiabilité s'est renforcé avec le digital. Il est toujours difficile de trouver l'information, de la trier, d'interpréter des indicateurs digitaux qui sont silotés, et qui ne sont pas du tout normalisés puisqu'ils sont propres à chaque plateforme. Cela rajoute de la confusion. Un nombre de followers n'a rien à avoir avec le nombre de vues sur Youtube. C'est la vue d'ensemble qui est complexe. On intervient dans la clarification, on se force à objectiver ces données en les mettant en perspective pour ne pas en exagérer certaines et en minorer d'autres.
Christophe Dickès : Notre étude « Dimension » actait le fait qu'il vaut mieux avoir 100 likes d'un public engagé sur Twitter ou Instagram, qui s'intéressera vraiment au sujet mis en avant dans une campagne de communication, que 1 000 likes sur un public qui n'est pas engagé. Engagé, cela signifie prêt à un acte d'achat.