« La vraie question est : comment donner envie aux lecteurs de payer pour du contenu ? »
Nouvelle formule de Glamour, montée en puissance du numérique, collaboration avec les marques... À l'heure où les médias cherchent des sources de financement, Violaine Degas, directrice générale adjointe de Condé Nast France en charge du digital, explique la nécessité pour l'éditeur de GQ, Vanity Fair, Glamour, AD et Vogue de se reconnecter avec son audience, meilleur atout dans la valorisation des contenus.
Depuis quelques jours, Glamour a adopté une nouvelle formule. Qu'est-ce a qui motivé cette décision?
Violaine Degas : Le magazine papier Glamour était en baisse en chiffres de ventes au numéro : cela nous a donc conduit à repenser la formule. Céline Perruche, la rédactrice en chef, avait envie, depuis son arrivée en janvier 2017, de reconnecter les contenus du magazine avec les attentes de son lectorat, de revoir le positionnement éditorial qui ne semblait plus en phase avec son époque et sa cible. Nous voulions nous éloigner des clichés des magazines féminins : ils parlent de mode, de beauté… dans un modèle d'injonction — « Que faut-il que j'achète ? Que je consomme ? » —, qui n'est pas assez ouvert. Or, on peut adorer acheter du maquillage et se passionner pour le changement climatique. L'idée était donc de remanier le journal afin qu'il offre des sujets plus société, news ou politique, tout en gardant des pans mode et beauté. Des contenus qui passionnent notre audience et que nous voulions traiter différemment : en les ancrant plus dans la réalité des jeunes femmes d'aujourd'hui. À mesure que le concept éditorial s'affinait du côté de la rédaction, nous avons repensé le modèle de distribution des contenus, en accordant une place plus forte au digital et au social. Nous sommes allés sur des thématiques plus conversationnelles et où les plateformes sociales peuvent jouer un rôle plus grand que ce que l'on pouvait faire jusqu'à présent.Des distinctions sont-elles opérées dans le contenu que vous partagez sur les réseaux sociaux ?
V. D. : Les équipes éditoriales produisent de plus en plus de contenu différencié en fonction de l'endroit où il est distribué. Il y a une vraie adaptation de la ligne éditoriale aux usages d'une plateforme, à ce que l'on connaît de notre audience sur cette plateforme, des sujets qui fonctionnent ou non dessus... Il est nécessaire d'adapter et non de produire un bloc de contenu que l'on va distribuer de manière indistincte. Nous essayons également de regarder ce qui fait le positionnement de la plateforme. Les journalistes travaillent pour cela avec les équipes d'audience growth du département marketing : ils s'appuient sur la data pour obtenir le maximum de connaissance d'un point de vue analytique sur nos communautés et la manière dont elles s'engagent via nos contenus. L'équipe marketing ne conseillera jamais à un journaliste d'écrire un article sur la parka beige plutôt que sur la noire, elle les aidera néanmoins à choisir le format le plus adapté au sujet. C'est une forme de collaboration qui permet plus de performance."Notre pouvoir de reconnexion avec la cible des Millennials peut intéresser aussi les marques."
Pour vous donner un exemple, nous avons réalisé pour Vogue et Glamour une analyse en profondeur sur Instagram. Nous voulions savoir quels étaient les contenus qui engageaient le plus nos communautés et avons obtenu des natures de sujet très différentes. Les abonnés de Vogue Paris sont très attirés par tous les visuels du magazine, les beaux shootings ou les photos vintage. Les abonnés de Glamour, eux, s'intéressent à des choses plus accessibles : des adresses, des conseils pratiques, des clins d'œils, des mantras… Nous n'avons pas tout à fait les mêmes natures de contenu car nous n'avons pas tout à fait les mêmes natures de communauté et d'audience. Comment mesurez-vous les performances de vos sites ?
V. D. : Nous scrutons quatre critères : le nombre de visiteurs uniques - notre audience au niveau du site internet (site centric) -, le nombre de visiteurs qui sont venus plus de quatre fois dans le mois - notre critère de fidélité, que nous cherchons à améliorer -, et ensuite deux critères plus axés audience sociale : le nombre de partages sur Facebook et le nombre d'interactions sur Instragram.
Le digital a-t-il vocation à remplacer le print dans le modèle économique de Glamour ?
V. D. : Mécaniquement, la place du print d'un point de vue diffusion pure sera plus faible puisque Glamour aura moins de numéros (6 par an contre 10 auparavant). Une partie importante du chiffre d'affaires provient de la publicité dans le magazine, nous avons vraiment misé sur une augmentation du chiffre d'affaires digital. Il sera lié à la production de contenus digitaux différents de ce que l'on peut trouver dans un magazine féminin dit « classique ». Nous pensons donc que notre pouvoir de reconnexion avec la cible des Millennials - même si je n'aime pas trop ce terme - peut intéresser aussi les marques. Elles pourront être attirées par notre tonalité, notre ligne éditoriale, notre manière de produire du contenu.
Condé Nast est connu pour travailler avec les marques, comment opérez-vous ?
V. D. : La production de contenu se partage entre les opérations spéciales, où l'annonceur produit du contenu et le monétise sur notre écosystème, et le brand content, qui opère en marque blanche, c'est à dire du contenu pour un annonceur qu'il peut utiliser sur son propre écosystème. Nous le faisons pour Lancôme, Air France Madame ou Moët Hennessy, notamment.
Qui est votre gourou ?
Beaucoup de choses m'inspirent mais ce n'est pas tellement résumé par une seule personne.Quel est votre mantra ?
« Better done than perfect. »Comment libérez-vous vos chakras ?
Par des activités complètement extraprofessionnelles : les voyages, la lecture, les expositions. J'ai besoin de faire des pauses et de ne plus penser au travail. Je gère bien cet équilibre.À votre arrivée au sein de Condé Nast France, le revenu moyen annuel généré par un lecteur était d'environ 15 euros. Qu'en est-il aujourd'hui ?
V. D. : Nous avons adopté une stratégie de valeur ces dernières années, que ce soit sur les prix des magazines ou les prix des abonnements, donc ce revenu a augmenté. Mais le véritable sujet est pour moi ailleurs : il est dans la diversification des offres proposées aux lecteurs et leur monétisation. Nous avons déjà lancé des événements et le contenu, sous toutes ses formes, est pour nous prioritaire. En ce sens nos interrogations pourraient se résumer à : « Quelle approche servicielle ou quelle approche de contenu peut-on créer pour donner envie aux gens de payer pour ce contenu ou ce service ? »

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