« La posture top-down des médias de masse s’estompe jour après jour »
Responsable éditorial de France TV Slash et directeur numérique Chaînes et programmes de France Télévisions, Antonio Grigolini nous parle de la nouvelle plateforme de France Télévisions, Slash, qui s'adresse aux jeunes adultes, et des choix éditoriaux concernant la distribution du contenu.
Vous avez lancé la semaine passée France TV Slash. De quoi s'agit-il ?
Antonio Grigolini : Slash est un média vidéo de service public, 100 % gratuit, disponible sur la plateforme France.tv, YouTube, Facebook et très bientôt sur Instagram et Snapchat.Il s’adresse aux jeunes entre la sortie du secondaire et "l'installation" dans la vie active. Sachant que cela peut arriver à 22 ans, 45 ans, ne jamais arriver... D'aucuns les appellent Millennials, d'autres jeunes adultes, il y aura sans doute d'autres qualificatifs générationnels... Nous regardons surtout les étapes de vie, car c'est ce qui nous intéresse.
Pour cette première semaine, une dizaine de vidéos étaient proposées. L'offre Slash va-t-elle s'étoffer par la suite ?
A. G. : Démarrer avec peu de titres est un choix éditorial. Nous disposons d'un luxe inouï : ne pas être une chaîne de télévision qui a besoin de 24 heures de grille dès le premier jour. Je n'ai d'ailleurs jamais pris le tableur avec la somme des minutes pour établir le volume horaire. C'est plutôt une question de volume de publication : démarrer assez petit pour pouvoir ajuster. À terme, en vitesse de croisière, l'idée est d'arriver à une quarantaine de vidéos fraîches par semaine. Mais nous ajusterons au fur et à mesure en fonction des retours.
Disposez-vous d'une équipe conséquente ?
A. G. : Une petite dizaine de personnes travaille sur le média, dont certaines ont été réaffectées depuis d'autres directions de France Télévisions. L'équipe compte également quatre contrats d'apprentissage : il était indispensable pour nous d'avoir des personnes dans la même tranche d'âge que notre public de jeunes adultes pour être en phase avec lui.Ces apprenti-e-s sont sur la même trajectoire que le média lui-même : ils/elles démarrent dans la vie, se posent pas mal de questions et nous sommes un média avec une semaine d'existence.

Quel est votre gourou ?
Mon grand-père maternel, qui m'a appris, entre autres, à me méfier des gourous.Quel est votre mantra ?
« Il ne sert à rien de tout prévoir. »Comment libérez-vous vos chakras ?
Avec un véritable caffè ristretto, quasiment introuvable à Paris (oui, c'est cliché)Pourquoi s'adresser aux 18/30 ans en particulier ?
A. G. : Nous nous sommes rendu compte d'une fragilisation du lien entre l'industrie télévisuelle et les jeunes adultes. Ce phénomène touche tous les éditeurs : la durée d'écoute des 15/24 ans a plutôt tendance à baisser, d'après Médiamétrie.Quelques marques fonctionnent auprès de ce public (Eurovision, débat présidentiel, Cash, sport, Plus belle la vie...), mais nous avons un peu moins, voire plus du tout parfois, ce lien quotidien que la télé arrivait à établir autrefois.
N'était-ce pas le rôle de France 4 ?
A. G. : Il y a un an et demi, France 4 a été réorientée éditorialement vers un public familial. Nous avions alors des contenus qui parlent aux jeunes adultes, comme les fictions de Studio 4, IRL (plateforme issue des nouvelles écritures, ndlr), mais aucune proposition spécifique. C'est ce qui a déclenché une réflexion, les prémices de France TV Slash.«« Nous disposons d'un luxe inouï : ne pas être une chaîne de télévision qui a besoin de 24 heures de grille dès le premier jour. »»
Y aura-t-il une articulation entre France TV Slash et l'antenne ?
A. G. : Si nous arrivons à trouver des synergies avec les antennes linéaires ou des montages de programmes intelligents, pragmatiques, pourquoi pas... mais ce n'est pas indispensable.Votre modèle est-il plus proche de celui de la télévision classique ou de celui des pure players ?
A. G. : Nous essayons de mixer les deux : France TV Slash n'est pas un pure player classique – cela s'appelle France TV –, mais ce n'est pas non plus une verticale supplémentaire de France Télévisions, ni une rédaction – il n'y pas d'infos. Le principal écueil, à mon sens, du fonctionnement des chaînes de télévision est qu'elles délèguent la quasi-totalité des tâches et de l'invention.
Voyez-vous les Brut, Konbini et autres MinuteBuzz comme des concurrents ?
A. G. : Depuis un an et demi, une bonne quinzaine de médias numériques se sont lancés en France, avec des modèles différents. C'est une excellente chose : le paysage change.Nous ne voyons pas les pure players de la vidéo comme des concurrents directs : nous arrivons avec une programmation, avec une proposition qui essaie d'être distincte : généraliste avec de la fiction et des documentaires, en plus des formats vidéo. Nous participons nous aussi à cette floraison de médias.
Vous n'avez pas peur des changements d'algorithme de Facebook ?
A. G. : Nous ne sommes pas un média de plateforme : nous n'avons pas fait le choix de renoncer à notre site ou de faire une forme de all-in sur les plateformes. Nous comptons être présents de la manière la plus percutante possible mais nous existons aussi sur France.tv.
Nous ne sommes, par ailleurs, pas sur des formats hyper courts : nous avons fait le choix de formats plus longs, de 4 à 5 minutes, pour laisser la parole s'exprimer, quitte à avoir un peu moins de viralité immédiate et un peu plus d'échanges, de partages, à moyen terme sur la vie d'un contenu. Tout ne se joue pas dans les trois premières heures.
Slash est-il l'offre « social TV » de France Télévisions ?
A. G. : Ce terme était utilisé y a quelques années pour qualifier l'irruption des réseaux sociaux dans la vie quotidienne des télés, dans les programmes. Cela a donné lieu à des expériences réussies, d'autres moins... Certains se sont fait des films sur le second écran pour finalement se rendre compte que, certes, le second écran existe, mais que les téléspectateurs se rendent plutôt sur Facebook et Google.Ce qui était nouveau à l'époque et qui reste nouveau est l'idée de changement assez radical de posture de la télévision qui d'un coup se met à la même hauteur que son public et l'écoute. Cette posture est totalement naturelle pour des acteurs qui viennent d'Internet, moins pour un média de masse. Écouter son audience, prendre en compte les critiques, les idées, les suggestions... Tant de choses que la télé n'avait pas forcément l'habitude de faire il y a encore quelques années.
Faut-il vous voir comme un média collaboratif ?
A. G. : Nous souhaitons co-construire une partie de la production avec les utilisateurs, mais il n'y a pas de dispositif ad hoc : chacun réagit sur les canaux qui existent.Cette posture d'écoute est duplicable vers d'autres plateformes, d'autres audiences, et je pense que nous allons être obligés de la dupliquer. Cela va devenir une forme de règle de base : la posture top-down des médias de masse ne va pas cesser d'exister mais s'estompe jour après jour.